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de tout ce que la ville et la cour avaient de plus instruit et de plus poli, gens de lettres, philosophes, principaux artistes, grands seigneurs et leurs femmes. On ne parvient point à former une pareille réunion sans mérite, et Mme Geoffrin en avait : peu d’instruction, mais de l’esprit naturel, l’usage du monde, un genre de brusquerie qu’elle s’était fait, qui lui réussissait et lui allait à merveille ; le tout couronné par une fortune considérable.

Diderot n’allait point chez Mme Geoffrin ; elle craignait sa pétulance, la hardiesse de ses opinions, soutenue, quand il était monté, par une éloquence fougueuse et entraînante.

Je l’ai vu quelquefois dans d’autres circonstances avoir le sentiment de ses forces, s’exhaler sur lui-même ; il était sujet alors à des boutades d’amour-propre tout à fait piquantes, parce qu’elles contrastaient avec sa bonhommie ordinaire ; d’autres fois, cet amour-propre n’était que naïf, et en voici un trait : Bitaubé lui envoie un exemplaire de son Iliade et lui en fait hommage ; Diderot, à quelques jours de là, rencontre Bitaubé, le remercie de son cadeau, et, au milieu de l’effusion de sa reconnaissance : La plus grande marque, lui dit-il, que je puisse vous donner du prix que j’attache au présent que vous avez bien voulu me faire, c’est de vous envoyer votre exemplaire à Berlin, tout couvert de notes marginales de ma main. J’ai retenu ce trait, parce qu’il se passait en présence d’un amour-propre qui n’avait ni la même naïveté, ni le même fondement, et que je jugeais d’autant plus vif qu’il n’osait se montrer. Bitaubé mourait d’envie, en me le racontant, de me dire : « Je suis tenté de lui rendre la pareille et de lui renvoyer de Berlin l’exemplaire que je tiens de lui de la Vie de Sénèque, avec des bordures marginales et critiques de ma façon. »

… À la manière dont, après son retour de Russie, j’ai entendu plusieurs fois Diderot chanter en poëte les vertus de Catherine, ses grandes qualités, je pense qu’il aurait fort bien traduit Homère, autant du moins que la langue française peut le permettre…

Diderot était très-reconnaissant des bontés dont l’avait honoré l’impératrice ; elle formait le fond de ses récits sur la Russie, de ses observations et d’un grand nombre d’anecdotes intéressantes. Je ne les rapporterai pas, parce qu’il est possible