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III

DIDEROT PEINT PAR SES CONTEMPORAINS.


I


I. — UN MONOLOGUE DANS LA RUE.

« — Je me trouvai[1] avec un prince russe, aussi agréable par son esprit que par la douce sensibilité de son âme. La nature ne lui a rien refusé de ce qui fait les grands hommes… J’étais vêtu, comme vous me voyez, avec un habit brun ; j’avais une perruque fort simple, du linge uni, un bâton à la main… J’étais dans tout mon costume[2].

« Les gens de lettres, me dit-il, sont-ils bien récompensés en France ?… — J’ai travaillé toute ma vie, j’ai fait l’Encyclopédie et le Fils naturel ; je n’ai pas un sol… J’ai une fille déjà grande ; elle est d’une jolie figure. Je lui ai donné des talents et les connaissances que ma fortune a pu comporter. Son âge me fait penser à l’établir. Je serai obligé de vendre ma bibliothèque pour lui faire une dot. Je me séparerai avec peine de mes livres. Il faut un état à ma fille ; je sacrifierai tout pour y réussir[3].

  1. C’est Diderot qui parle.
  2. M. Diderot me fit ce récit d’un air fort affectueux ; il dandinait la tête tantôt sur une épaule et tantôt sur l’autre.

    Je ne suis point dans l’usage de couper mes phrases par des lignes de points. Tout ce morceau est censé être de la composition de M. Diderot, c’est au moins son récit : j’ai cru pour cela devoir imiter sa manière d’écrire et mettre à toutes mes phrases des points… beaucoup de points… Le lecteur sentira mieux ce que ce savant a voulu me dire et ce que j’ai dû lui répondre. M. Diderot prétend que les points imprimés entre les phrases augmentent le volume du discours et donnent beaucoup de caractère à nos idées : voyez le Fils naturel, etc., etc. Si vous ôtiez les points qui coupent les parties du dialogue, vous le réduiriez à rien. (L. de B.)

  3. Ce savant racontait ceci d’un ton triste et langoureux. Personne n’entend mieux que lui la pantomime du récit. (L. de B.)