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combinaisons possibles, ce qu’on appelle Vie de roi ; et puis, ce n’est pas encore tout. Une diable de Sibylle, qui quelquefois vaut mieux et quelquefois aussi ne vaut la Sibylle de Panzoust, dont il est fait mention au grand livre : Des dits et gestes par excellence, s’est-elle pas mis en tête de chamarrer notre prince à la guise des autres ; et voilà qu’elle en écrit à certain seigneur, à qui ils n’ont pas tout ôté, puisqu’ils lui ont laissé quelques centaines d’aulnes de vieux ruban. Or, de ce ruban on lui en a promis plus de trois aulnes et un quart, à condition que la très-grande Emperesse, qui en a elle de bien plus beau, permettroit que celui notre Prince acceptât de l’autre, en attendant du sien qui est vraiment plus beau. Or, appuyez loyamment et fermement la susdite permission, et ce pour raison valable que je vais vous déduire, et que je vous supplie de ne point prendre en facétie, parce qu’en dépit du ton, c’est chose sérieuse. Notre Prince, comme vous sçavez, est grandement pourvu de vertus, un peu chichement de pécune, et j’aurois fort à cœur qu’il économisât beaucoup sur ce peu de pécune : ce à quoi nous aideroient grandement les susdites trois aulnes et un quart de ruban, en nous dispensant d’oripeaux, d’or, de galons et autres luxuriences, qui vous vuident à merveille une poche, tant profonde soit-elle. Or, par vertu de cettui magique ruban, irions si simplement que ceux qui font journellement venir de France, par la diligence de Bruxelles, de la rue Au-Fer, ou de la Petite-Rue, force tissus, larges, les uns de trois doigts, les autres de quatre, et qui s’en embordurent comme estampes ou comme tableaux, et marchent très-fièrement, quand une fois ils sont ainsi embordurés. Veuillez faire tout le possible vôtre, pour que nous soyons dispensés de la susdite ruineuse bordure, et allions en gros drap, peluche, camelot, et autres étoffes de commun aloi, sans qu’on en glose ou qu’on nous prenne pour des je ne sais qui, en disant que ressemblons à je ne sais quoi.

Sérieusement, mon Prince, pour quitter ce ton de maître François Rabelais, tout ridiculement que je vous aie présenté ce motif, il n’en est pas moins solide. Avec un cordon qui nous distingue, nous avons la liberté de nous vêtir aussi simplement qu’il nous plaît, et le Prince est malheureusement si borné dans sa dépense, qu’il est forcé de regarder à tout. Vous avez