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lettres sont courtes avec vous, au contraire, plus elles sont longues, plus j’en suis content. Je me dis : Quel plaisir elle aura quand elle recevra ce paquet ! D’abord, elle le pèsera de la main : elle le serrera pour quand elle sera seule ; il lui tardera bien d’être seule ; elle l’ouvrira avec empressement, croyant y trouver au moins une brochure. Point de brochure, mais un volume de mon écriture, en feuilles séparées. On rangera ces feuilles ; on lira presque toute la nuit ; il en restera la moitié encore pour le lendemain. Le lendemain, on achèvera, et l’on relira, pour soi et pour sa chère sœur, les lignes qui auront plu davantage : car, quand on ne serait pas bien aimée, on voudrait le paraître ; quand l’amant ne serait pas fort aimable, on voudrait qu’il le parût. Les amants me semblent encore, en ce point, plus honnêtes et plus délicats que la plupart des époux.

Ce volume d’écriture qu’on aura reçu et lu avec tant de plaisir, que contiendra-t-il ? Des riens ; mais ces riens mis bout à bout forment de toutes les histoires la plus importante, celle de l’ami de notre cœur.

Le calcul que vous trouvez si mauvais est pourtant celui de toutes les passions. Des années entières de poursuite pour la jouissance d’un moment, voilà leur arithmétique, et tant que le monde durera, c’est ainsi qu’elles compteront.

Lorsque je défendais le jeune homme[1] c’est comme aimable et non comme honnête. — Mais est-on aimable sans être honnête ? — Hélas ! oui ; et c’est un peu la faute des femmes..... Mais, après tout, c’est là l’homme qu’il leur faut, puisqu’elles trompent, trahissent, tourmentent, conduisent, ou méprisent et font mourir les autres de douleur.

Uranie, Uranie, je crains bien que vous ne fassiez trop de cas des qualités agréables, et pas assez des qualités solides. Vous craignez trop l’ennui, le ridicule vous touche trop vivement pour que vous estimiez la vertu tout son prix. Peut-être feriez-vous demain le bonheur de l’homme de génie qui pourrait résoudre tous vos doutes profonds, tandis que vous refuseriez un regard de pitié à celui qui serait prêt ta tout moment de donner sa vie pour vous.

  1. Les phrases soulignées sont évidemment les passages des lettres de Mlle Volland auxquels Diderot répondait.