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Je viens de relire cette lettre. J’avais presque envie de la brûler ; j’ai craint que la lecture que vous en ferez ne vous fatiguât.

Pour peu qu’elle vous applique, laissez-la. Vous y reviendrez, elle n’est obscure que par l’impossibilité de ne rien omettre de ce qui s’est dit.

Et puis ces matières ne vous sont pas aussi familières qu’à nous. Je brûle de vous revoir.


XLVIII


Au Grandval, le 28 octobre 1760.


Si vous ne vous rappelez pas vos lettres depuis le numéro 22 jusqu’au numéro 29 que je viens de recevoir, vous n’entendrez rien à ceci.

Je cause un peu avec vous comme ce voyageur à qui son camarade disait : « Voilà une belle prairie ! » et qui lui répondait au bout d’une lieue : « Oui, elle est fort belle. »

Quand vous lui avez lu : « Oui, madame, je vous hais », elle a ri et n’en a voulu rien croire. Si j’avais écrit : « Oui, madame, je vous aime », elle serait devenue sérieuse, et n’en aurait pas cru davantage. Il n’y a plus que l’indifférence que je lui protesterais mal ; car je ne l’ai pas, et ne l’aurai jamais.

Gaschon s’est présenté tout seul. Ils ont causé la première fois, comme ils causeront la centième. C’est la commodité de ceux qui ne se disent rien ; mais pour Uranie, vous et moi, il faut que l’ennui de nous-même et des autres nous prenne, quand le cœur et l’esprit sont muets, et qu’il n’y a que les lèvres qui se remuent et qui font du bruit. Je me suis demandé plusieurs fois pourquoi, avec un caractère doux et facile, de l’indulgence, de la gaieté et des connaissances, j’étais si peu fait pour la société. C’est qu’il est impossible que j’y sois comme avec mes amis, et que je ne sais pas cette langue froide et vide de sens qu’on parle aux indifférents ; j’y suis silencieux ou indiscret. La belle occasion de marivauder ! Et pourquoi m’y refuserais-je ? le pis-aller, c’est d’être long avec les autres. Plus mes