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Il y en a qui conjecturent, et ceux-ci font le plus grand nombre, que le dessein est de transformer tous les privilèges en permissions pures et simples, sans aucune clause d’exclusion, en sorte que, accordées en même temps à plusieurs à la fois, il en résulte vitalité dans l’exécution, concurrence dans le débit, et les éditions les plus belles au plus bas prix possible.

Mais premièrement, c’est traiter le privilège du libraire comme une grâce qu’on est libre de lui accorder ou de lui refuser, et oublier que ce n’est que la garantie d’une vraie propriété à laquelle on ne saurait toucher sans injustice. Et quel sera le produit de cette injustice ? Vous en allez juger, vous ramenant à des faits toutes les fois que je le peux ; c’est ma méthode, et je crois qu’elle vous convient.

Les auteurs classiques sont précisément, monsieur, dans le cas où l’on se proposerait de réduire tous les autres livres. Il n’y a pour ces ouvrages que ces sortes de permissions, et la concurrence libre et générale en a été perpétuelle même après les édits de 1649 et 1665, qui en faisaient les privilèges exclusifs et l’objet d’un fonds solide et propre à chaque pourvu. Eh bien ! monsieur, quelle émulation entre les commerçants, quel avantage pour le public ces permissions et ces concurrences ont-elles produit ? Entre les commerçants l’émulation de l’économie, comme je vous l’avais prédit ailleurs, c’est-à-dire la main d’œuvre la plus négligée, les plus mauvais papiers, et des caractères dont on n’a plus que ce misérable service à tirer avant que de les renvoyer à la fonte. Pour le public, l’habitude de mettre entre les mains de nos enfants des ouvrages qui ne fatiguent déjà que trop leur imbécillité par leurs épines, sans y ajouter des vices typographiques qui les arrêtent à chaque ligne.

Hélas ! les pauvres innocents, on les réprimande souvent pour des fautes dont il aurait fallu châtier l’imprimeur ou l’éditeur. Mais que dire à ceux-ci lorsque le mépris de l’institution de la jeunesse, qui se remarque parmi nous jusque dans les petites choses, ne veut que des maîtres à cent écus de gages et des livres à quatre sous ? Cependant, en répandant la dépense d’une pistole de plus sur un intervalle de sept à huit ans d’étude, les jeunes gens auraient des livres bien conditionnés et faits avec soin, et le magistrat serait autorisé à envoyer au