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fin du repas, mon fils était assis à la gauche de Mme de C… Il est ordinairement familier avec elle. Il lui prend la main, il veut voir le bras, il relève les manchettes. On le laisse faire, exprès ou de distraction. Il voit sur une peau assez blanche de grands poils noirs ; il se met à lui plumer le bras ; elle veut retirer sa main, il tient ferme ; rabattre sa manchette, il la relève et plume. Elle crie : « Monsieur, voulez-vous finir ? » Il lui répond : « Non, madame ; à quoi diable cela sert-il là ? » et plume toujours. Elle se fâche : « Vous êtes un insolent. » Il la laisse se fâcher, et n’en plume pas moins. Mme d’Aine étouffant moitié de rire, moitié de colère, se tenant les côtes, et cherchant un ton sérieux, lui disait : « Monsieur, y pensez-vous ? » Et puis elle riait. « Qui est-ce qui a jamais épluché une femme à table ? » Et puis elle riait. « Où est l’éducation qu’on vous a donnée ? » Et tous les autres d’éclater : pour moi, les larmes m’en tombaient des yeux, et j’ai cru que j’en mourrais.

Cependant, un moment après, sa mère a fait signe à son fils, et il est allé se jeter aux pieds de la dame et lui demander pardon. Elle prétend qu’il lui a fait mal, mais cela n’est pas vrai ; c’est la mauvaise plaisanterie et nos ris inhumains qui lui ont fait mal.

Le Baron est malade. C’est la dyssenterie et de la fièvre. Je viens de descendre dans le salon, où lui, le père Hoop, Mme d’Aine et Mme d’Holbach prenaient du thé. J’en pris avec eux. Voilà le Baron, à qui la colique n’a pas ôté son ton original : « Maman, connaissez-vous le grand Lama ? — Je ne connais ni le grand ni le petit. — C’est un prêtre du Thibet. — Du Thibet ou d’ailleurs, si c’est un bon prêtre, je le respecte. — Un jour de l’année qu’il a bien dîné, il passe dans sa garde-robe. — Grand bien lui fasse. — Et là..... — Voici quelque cochonnerie. — Qu’appelez-vous une cochonnerie, s’il vous plaît ? Un besoin, ce me semble, assez simple, assez naturel et assez général, et que malgré votre spiritualisme, vous satisfaites comme votre meunière. — Mais puisque cochonnerie il y a, quand le grand Lama a fait sa cochonnerie — On la prend comme une chose sacrée, on la met en poudre, et on l’envoie par petits paquets à tous les princes souverains, qui la prennent en thé les jours de dévotion. — Quelle folie ! — Folie ou non, c’est un fait. Mais vous croyez donc que si l’on vous