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lité du mal physique et moral avec la nature de l’être éternel.

Voici comment on la propose : c’est en lui impuissance ou mauvaise volonté ; impuissance s’il a voulu empêcher le mal et qu’il ne l’ait pu ; mauvaise volonté, s’il a pu empêcher le mal et qu’il ne l’ait pas voulu.

Un enfant entendrait cela. C’est là ce qui a fait imaginer la faute du premier père, le péché originel, les peines et les récompenses à venir, l’incarnation, l’immortalité, les deux principes des Manichéens, l’Oromase et l’Arimane des Perses, les émanations, l’empire de la lumière et de la nuit, la succession des vies, la métempsycose, l’optimisme, et d’autres absurdités accréditées chez les différents peuples de la terre où l’on trouve toujours une vision creuse en réponse à un fait clair, net et précis.

Dans ces occasions quel est le parti du bon sens ? Celui, mon amie, que nous avons pris : quoi que les optimistes nous disent, nous leur répliquerons que si le monde ne pouvait exister sans les êtres sensibles, ni les êtres sensibles sans la douleur, il n’y avait qu’à demeurer en repos. Il s’était bien passé une éternité sans que cette sottise-là fût.

Le monde, une sottise ! Ah ! mon amie, la belle sottise pourtant ! C’est, selon quelques habitants du Malabar, une des soixante-quatorze comédies dont l’Éternel s’amuse.

Leibnitz, le fondateur de l’optimisme, aussi grand poëte que profond philosophe, raconte quelque part qu’il y avait dans un temple de Memphis une haute pyramide de globes placés les uns sur les autres ; qu’un prêtre, interrogé par un voyageur sur cette pyramide et ces globes, répondit que c’étaient tous les mondes possibles, et que le plus parfait était au sommet ; que le voyageur, curieux de voir ce plus parfait des mondes, monta au haut de la pyramide, et que la première chose qui frappa ses yeux attachés sur le globe du sommet, ce fut Tarquin qui violait Lucrèce.

Je ne sais qui est-ce qui rappela ce trait que je connaissais et dont je crois vous avoir entretenue.

C’est une chose singulière que la conversation, surtout lorsque la compagnie est un peu nombreuse. Voyez les circuits que nous avons faits ; les rêves d’un malade en délire ne sont pas plus hétéroclites. Cependant, comme il n’y a rien de décousu