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Mais avant que d’aller plus loin, car il me reste encore des choses sérieuses à vous dire, il faut que je vous prévienne contre un sophisme des gens à système. C’est que, ne connaissant que très superficiellement la nature des différents genres infinis de commerce, ils ne manqueront pas d’observer que la plupart des raisons que je vous apporte en faveur de celui de la librairie pourraient être employées avec la même force pour tous ceux qui ont des exclusifs à défendre, comme si tous les exclusifs étaient de la même sorte, comme si les circonstances étaient partout les mêmes, ou comme si les circonstances pouvaient différer sans rien changer au fond, et comme s’il n’arrivait pas que, dans les questions politiques, un motif qui paraît décisif en général ne soit réellement solide que dans quelques cas et même dans aucun. Exigez donc, monsieur, qu’on discute et qu’on n’enveloppe pas vaguement dans une même décision des espèces tout à fait diverses. Il ne s’agit pas de dire : « Tous les exclusifs sont mauvais », mais il s’agit de montrer que ce n’est pas la propriété qui constitue l’exclusif du libraire, et que quand cet exclusif serait fondé sur une acquisition réelle et sur un droit commun à toutes les acquisitions du monde, il est nuisible à l’intérêt général, et qu’il faut l’abolir malgré la propriété. Voilà le point de la difficulté. Demandez, je vous prie, ce que nous gagnerons à des translations arbitraires du bien d’un libraire à un autre libraire. Faites qu’on vous montre bien nettement qu’il nous importe que ce soit plutôt un tel qu’un tel qui imprime et débite un livre. Je ne demande pas mieux qu’on nous favorise. En attendant, ce qui se présente à moi, c’est qu’un possesseur actuel ne regardant sa jouissance que comme momentanée, doit faire de son mieux pour lui et de son pis pour nous ; car il est impossible que son intérêt et le nôtre soient le même ; ou, si cela était ainsi, les choses seraient au mieux et il n’y aurait rien à changer.

Mais permettez-vous, monsieur, qu’on vous dise à l’oreille les idées de quelques gens que vous appellerez rêveurs, méchants, bizarres, mauvais esprits, malintentionnés, comme il vous plaira ? Ces gens-là ne voyant dans ces innovations rien qui tende directement ni indirectement au bien général, y soupçonnent quelque motif caché d’intérêt particulier, et, pour trancher le mot, le projet d’envahir un jour tous les fonds de la