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yeux : mes lèvres tremblent ; je voudrais vous parler ; je ne saurais. Mais que deviens-je lorsque cette illusion disparaît et que je me trouve seul ? Je suis fâché que Mlle Clairet soit indisposée ; je vous prie de lui dire qu’il est impossible que je l’oublie tant qu’elle aura de l’attachement pour vous. Je n’espérais pas Mme de Solignac sitôt. Est-ce que madame votre mère ne se montrera pas empressée d’aller chercher sa chère fille ? Je gage que Mme Le Gendre en a perdu le sentiment. Vous ne donnez pas, vous, dans ces mines-là. Cela échappe à l’évêque. Ils se battaient, les bonnes gens qu’ils étaient. Demain ou plutôt aujourd’hui lundi à Paris : demain, mes paquets se font ; après-demain, je suis établi au Grandval pour six semaines. Mme d’Épinay en a le cœur un peu serré et moi aussi ; nous étions faits l’un à l’autre ; nous comprenions sans mot dire ; nous blâmions, nous approuvions du coin de l’œil ; cette conversation muette va lui manquer. Vous adresserez toujours vos lettres sur le quai des Miramionnes, d’où elles iront contre-signées à Charenton, et j’enverrai les retirer le plus assidûment qu’il sera possible. Vous savez que les maîtres n’ont plus de domestiques où je suis. Ce M. Damilaville est un galant homme qui aime à faire le bien et qui sait y mettre la grâce. Il y a deux ou trois honnêtes hommes et deux ou trois honnêtes femmes dans ce monde, et la Providence me les adresse. En vérité, si je mérite ce présent, j’en sentirai toute la valeur, et, si j’en sens toute la valeur, je n’aurai plus envie de me plaindre d’elle ; si elle prenait la parole, et si elle me disait : « Je t’ai donné Grimm et Uranie pour amis ; je t’ai donné Sophie pour amie ; je t’ai donné Didier pour père et Angélique pour mère ; tu sais ce qu’ils étaient et ce qu’ils ont fait pour toi ; que te reste-t-il à me demander ? » Je ne sais ce que je lui répondrais. Oui, chère amie, je retrouverai au Grandval ceux que j’y ai laissés, excepté d’Alinville ; mais je n’y ferai rien de ce que vous conjecturez ; je boirai, je mangerai, je dormirai, je philosopherai le soir, je vous regretterai tous les matins, et mainte fois dans la journée je soupirerai indiscrètement. Mme d’Holbach s’en apercevra, et en rira. Mme d’Aine dira que, si cela dure, il faudra qu’elle me fasse noyer par pitié. Je n’y ferai pas une panse d’a et je m’en reviendrai, à la Saint-Martin, à Paris, où je mourrai de douleur si je ne vous retrouve pas. Je tremble toujours que votre chère