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âmes sensibles ; elles sont entourées de cailloux qui les choquent et les froissent sans cesse.


XXXIX


Le .. septembre 1760.


Me voilà aux mêmes lieux où j’étais l’an passé : y suis-je plus heureux ? Non. Quoi donc ! trente ans d’expérience du passé ne suffisent pas pour désabuser de l’avenir ! La peine me surprend toujours, et lorsque le plaisir vient, il semble que je m’y sois attendu.

Nous avons tous quitté la Chevrette dimanche au soir, et nous sommes arrivés, Mme d’Épinay et moi, lundi, entre une heure et une heure et demie, au Grandval, où nous avons trouvé le père Hoop, le Baron, M. d’Alinville, Mme d’Aine et Mme d’Holbach.

Mme d’Aine est toujours la même. Nous avons dîné comme vous savez qu’on dine ici ; c’est la seule maison où il me faille un grand exercice le soir, et du thé le matin.

Après dîner, les femmes sont rentrées ; nous les avons abandonnées à leurs petites confidences, car c’est un besoin qui les presse, quand elles ont été quelque temps sans se voir ; et nous avons tenté une longue promenade, quoique la terre fût molle, et que le ciel, qui se chargeait vers le couchant, nous menaçât d’un orage.

Je les ai revus, ces coteaux où je suis allé tant de fois promener votre image et ma rêverie, et Chennevières qui couronne la côte, et Champigny qui la décore en amphithéâtre, et ma triste et tortueuse compatriote, la Marne.

On nourrit à Chennevières les deux filles de Mme d’Holbach. L’aînée est belle comme un chérubin ; c’est un visage rond, de grands yeux bleus, des lèvres fines, une bouche riante, la peau la plus blanche et la plus animée, des cheveux châtains qui ceignent un très-joli front. La cadette est un peleton d’embonpoint où l’on ne distingue encore que du blanc et du vermillon. Sur les sept heures nous étions revenus et reposés. Nos