Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/472

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur ses épaules ; les autres retenues avec un cordon bleu qui serre son front ; la bouche entr’ouverte ; elle respire, et ses yeux sont chargés de langueur. C’est l’image de la tendresse et de la volupté.

Nous avons eu aujourd’hui à dîner une femme en homme. C’est une Mme Gondoin, jolie comme un cœur. J’étais assis à côté d’elle, et nous avons beaucoup causé. J’ai cru qu’elle mourrait de rire d’un mot naïf que j’ai dit à notre curé, qui est un des plus gros garçons qui se voient : c’est qu’on pourrait le baiser pendant trois mois de suite sans baiser deux fois dans le même endroit ; et d’un autre, à propos de quelqu’un qui disait qu’il y avait plus de sots dans ce monde-ci que partout ailleurs ; j’ajoutais que cet homme avait beau les compter, il en oubliait toujours un. On a l’esprit si libre à la campagne qu’il ne faut presque rien pour amuser beaucoup, surtout quand on n’a pas l’âme chagrine.

Vous attendez donc Mme de Solignac vers le commencement d’octobre ? Je crains bien que vous ne vous mécomptiez, et qu’elle n’arrive que dans les premiers jours de novembre. Pour moi, je ne vous attends pas plus tôt. Il nous est venu quelques virtuoses, entre lesquels M. de La Live. Mon portrait était sur le chevalet ; ils en ont tous parlé comme d’une très-belle chose, et pour la ressemblance, et pour la position, et pour le dessin, pour la couleur, et pour la vie. Cependant la sœur aînée de celle qui l’a peint était debout dans un coin et pleurait de joie des éloges qu’on donnait à sa cadette. Nous partons tous ce soir pour Paris. J’accompagnerai Mme d’Épinay, qui va passer au Grandval les jours que Grimm s’éloigne d’elle pour aller à la cour. Nous reviendrons mercredi, elle pour regagner la Chevrette, moi pour arranger mes paquets et ramasser de la besogne pour le reste de la saison que je passerai chez Mme d’Aine. Continuez de vous bien porter. Aimez-moi ; dites-le-moi ; aimez-moi tendrement ; dites-le-moi souvent. La douleur s’est emparée de mon âme, et, si vous souffrez qu’elle s’y loge, je crains bien que ce ne soit à demeure. Quand j’aurais été coupable, comme votre sœur l’a cru, n’y avait-il pas un rôle plus doux, plus honnête à faire que celui de m’accuser ? Adieu ! Mon respect à madame votre mère. Ah ! Sophie, la vie est une bien mauvaise chose pour les