Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/47

Cette page a été validée par deux contributeurs.

in-douze au delà du surcroît des frais particuliers et des hasards de celui qui contrefait clandestinement, ou de celui qui envoie de loin, sans qu’avant un mois nous n’en ayons une édition d’Amsterdam ou de province mieux faite que la sienne, à meilleur marché, et sans que vous puissiez jamais l’empêcher d’entrer.

Laissez donc là un progrès qui tournerait au dommage de votre commerçant le petit nombre de ses entreprises utiles. S’il est privé de rentrées promptes et sûres qui l’assistent au besoin, que fera-t-il ? un emprunt ? Mais il y a longtemps que l’état mesquin des libraires du royaume et le discrédit de leurs effets a annoncé que leur commerce est trop borné pour qu’ils puissent asseoir des rentes sur son profit. Si vous voulez connaître tout ce discrédit, faites un tour à la Bourse ou dans la rue Saint-Merry, où vous verrez tous les huit jours un de ces commerçants demander à la justice consulaire un délai de trois mois pour un billet de vingt écus. Et quand le libraire se résoudrait à emprunter, quels coffres lui seront ouverts, surtout lorsque, par l’instabilité des privilèges et la concurrence générale, il sera démontré que le fonds de sa fortune n’a rien de réel, et qu’il peut aussi sûrement et aussi rapidement être réduit à la mendicité par un acte d’autorité que par l’incendie de son magasin ? Et puis, qui est-ce qui ne connaît pas l’incertitude de ses entreprises ?

Appuyons ces réflexions d’un fait actuel. Avant l’annonce de l’édition de Corneille par les Genevois, cet auteur avec le privilège se vendait à la chambre syndicale cinquante sous ou trois livres le volume ; depuis que des souscriptions de l’édition genevoise ont été distribuées sous les yeux des libraires, malgré leurs représentations et contre le privilège des propriétaires qui est expiré et dont on a refusé le renouvellement, le prix du même volume dans deux ventes consécutives est tombé à douze sous, et dans une troisième du mois de septembre 1763, à six sous ; cependant les magasins des associés au Corneille sont pleins de deux éditions en grand et en petit in-douze.

Certainement on n’empêchera jamais l’étranger de contrefaire nos auteurs ; certainement il est à souhaiter que dans trente ans d’ici, M. de Voltaire nous donne des éditions des siens ou des commentaires sur d’autres en quelque endroit du monde