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cette toile ; j’y vis, j’y respire, j’y suis animé ; la pensée paraît à travers le front. On peint Mme  d’Épinay en regard avec moi ; c’est vous dire en un mot à qui les deux tableaux sont destinés. Elle est appuyée sur une table, les bras croisés mollement l’un sur l’autre, la tête un peu tournée, comme si elle regardait de côté ; ses longs cheveux noirs relevés d’un ruban qui lui ceint le front ; quelques boucles se sont échappées de dessous ce ruban. Les unes tombent sur sa gorge ; les autres se répandent sur ses épaules, et en relèvent la blancheur. Son vêtement est simple et négligé. Je comptais retourner ce soir à Paris ; mais mon accident et ces portraits me retiendront ici jusqu’à dimanche. Dimanche nous partirons tous. M. Grimm ira le mardi à Versailles ; Mme  d’Épinay, le lundi au Grandval ; moi je resterai à Paris. Je suis arrivé à la Chevrette au moment où Saurin en partait pour aller à Montigny chez M. Trudaine ; nous en avons reçu deux ou trois lettres charmantes, moitié vers et moitié prose. Il y en a une, la dernière, où, sous prétexte de me donner des conseils sur le danger qu’il y a à regarder de trop près de grands yeux noirs, il y fait une déclaration très-fine à Mme  d’Épinay. Cela l’a rendue d’abord un peu soucieuse. Son souci a fait le sujet d’une de nos conversations, ou de plusieurs excellents propos qu’elle m’a tenus, je n’en ai retenu qu’un que je vous prie de rendre à votre sœur. Je lui disais, comme m’avait dit cette sœur au Palais-Royal, un jour que je lui conseillais d’arrêter tout de suite celui qu’on ne voulait point engager, qu’on s’exposait à un ridicule quand on refusait des avances qu’on pouvait nier et qui n’avaient point été faites ; elle me répondit qu’il valait mieux s’exposer à un ridicule que de compromettre le bonheur d’un honnête homme. Voilà une phrase bien entortillée, mais vous l’entendrez. Adieu, ma tendre amie, je vous embrasse de tout mon cœur. Mes sentiments les plus tendres sont pour vous ; mes sentiments les plus respectueux pour Mme  Le Gendre.

P. S. On m’obsède, et je ne sais ce que j’écris. Je ne perdrai aucune occasion de vous donner de mes nouvelles. Je vous demande, dans quelques-unes de mes lettres que vous n’avez point encore reçues, l’explication d’un si suivi de plusieurs points ; vous me direz aussi ce qui a pu déranger votre voyage à Châlons. Je vois, par la lettre en grimoire, que Mme  Le Gendre