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du Discours sur la Satire des philosophes, ni de la tragédie de Tancrède. Bonsoir, mon amie, bonsoir.


XXXVII


17 septembre 1760.


Je vous écris à la hâte ; un de nos peintres s’en retourne dans un quart d’heure, et il faut qu’il se charge de ce billet pour l’hôtel de Clermont-Tonnerre. J’y renferme un mot de grimoire. Je ne vous demande plus rien sur l’arrangement qui s’est fait entre le philosophe et notre chère sœur. J’avais ployé toutes vos lettres sur mon bureau, j’allais répondre à ce que je pouvais avoir laissé en arrière ; mais depuis cinq ou six jours cette maison est si tumultueuse que la nuit est fort avancée lorsqu’on pourrait disposer d’un moment.

Il vient de m’arriver un petit accident. J’étais allé me promener autour d’une grande pièce d’eau sur laquelle il y a des cygnes. Ces oiseaux sont si jaloux de leur domaine, qu’aussitôt qu’on en approche ils viennent à vous à grand vol. Je m’amusais à les exercer, et quand ils étaient arrivés à un des bouts de leur empire, aussitôt je leur apparaissais à l’autre. Pour cet effet il fallait que je courusse de toute ma vitesse ; ainsi faisais-je, lorsque je rencontrai devant un de mes pieds une barre de fer qui servait de clef à ces ouvertures qu’on pratique dans le voisinage des eaux renfermées et que l’on appelle des regards. Le choc a été si violent que l’angle de la barre a coupé en deux, ou peu s’en faut, la boucle de mon souliers ; j’ai eu le cou-de-pied entamé et presque tout meurtri. Cela ne m’a pas empêché de plaisanter sur ma chute qui me tient en pantoufle, la jambe étendue sur un tabouret. On a pris ce moment de prison et de repos pour me peindre ; on refait de moi un portrait admirable. Je suis représenté la tête nue, en robe de chambre, assis dans un fauteuil, le bras droit soutenant le gauche, et celui-ci servant d’appui à la tête, le cou débraillé, et jetant mes regards au loin, comme quelqu’un qui médite. Je médite en effet sur