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celui du Messager boiteux ? Et pourquoi nos imprimeurs payeraient-ils chèrement des protes instruits, de bons compositeurs et des pressiers habiles, si toute cette attention ne servait qu’à multiplier leurs frais sans accroître leur profit ? Ce qu’il y a de pis, c’est qu’à mesure que ces arts dépériront parmi nous, ils s’élèveront chez l’étranger, et qu’il ne tardera pas à nous fournir les seules bonnes éditions qui se feront de nos auteurs. C’est une fausse vue, monsieur, que de croire que le bon marché puisse jamais, en quelque genre que ce soit, mais surtout en celui-ci, soutenir de la mauvaise besogne. Cela n’arrive chez un peuple que lorsqu’il est tombé dans la dernière misère. Et quand il se trouverait au milieu de cette dégradation quelques manufacturiers qui penseraient à fournir les gens de goût de belles éditions, croyez-vous qu’ils le pussent au même prix ? Et quand ils le pourraient au même prix qu’aujourd’hui et que l’étranger, quelle ressource leur avez-vous réservée pour les avances ? Ne nous en imposez pas, monsieur ; sans doute la concurrence excite l’émulation ; mais dans les affaires de commerce et d’intérêt, pour une fois qu’elle excite l’émulation de bien faire, cent fois c’est celle de faire à moins de frais. Ce ressort n’agit dans l’autre sens que sur quelques hommes singuliers, enthousiastes de leur profession, qui sont attendus par la gloire et par la misère qui ne les manquent jamais.

Il y a sans contredit dans cette question un terme moyen, mais difficile à saisir, et que je crois que nos prédécesseurs ont trouvé par un tâtonnement de plusieurs siècles. Tâchons de ne pas tourner dans un cercle vicieux, ramenés sans cesse aux mêmes remèdes par les mêmes difficultés et les mêmes inconvénients. Laissez faire le libraire, laissez faire l’auteur. Le temps apprendra bien sans vous à celui-ci la valeur de son effet ; assurez seulement au premier son acquisition et sa propriété, condition sans laquelle la production de l’auteur perdra nécessairement de son juste prix. Et surtout songez que, si vous avez besoin d’un habile manufacturier, il faut des siècles pour le faire et qu’il ne faut qu’un instant pour le perdre.

Vous cherchez une balance qui force le libraire à bien travailler et à mettre à son travail une juste valeur, et vous ne voyez pas qu’elle est toute trouvée dans la concurrence de l’étranger. Je défie un libraire de Paris de hausser le prix d’un