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bien fait les honneurs, elle a même dit à l’abbé un mot assez plaisant. Mme d’Épinay et M. Grimm sont venus aujourd’hui à Paris. Le projet était d’assister à la première représentation de Tancrède, mais un mal de dents a tout dérangé. On s’en retournera vendredi à la Chevrette, avec une dent de moins, au lieu d’aller au Grandval ; pour moi, je resterai : on désespère de m’avoir, et je ne m’engage pas trop. Je travaille beaucoup moins cependant que je n’espérais ; mes collègues me font enrager par leurs lenteurs.

Adieu, ma tendre amie, vous me rendez justice ; tout ce qui est autour de vous peut changer, excepté mes sentiments ; ils sont à l’épreuve du temps et des événements. Quand mon estime croît pour vous de jour en jour, dites, est-il possible que ma tendresse diminue ? Je disais autrefois à une femme que j’aimais et en qui je découvrais des défauts[1] : « Madame, prenez-y garde, vous vous défigurez dans mon cœur ; il y a là une image à laquelle vous ne ressemblez plus ; si vous n’êtes plus celle qui m’engageait malgré moi, je cesserai d’être ce que je suis. » Si j’avais à dire de ma Sophie, ce serait ceci : Plus je vis avec elle, plus je lui vois de vertus, plus elle s’embellit à mes yeux, plus je l’aime, plus elle m’attache ; et puis il y a bientôt cinq ans que je lui prouve que le système de sa sœur est faux. Patience, chère amie, patience ; ils reviendront, ces moments où vous reverrez mon ivresse, où je vous forcerai de prononcer au fond de votre, cœur que les faveurs d’une honnête femme sont toujours précieuses, et que c’est elle dont les charmes ne passent jamais. Adieu, adieu. Le 2 septembre, le jour de la naissance du joli enfant. Que n’est-il de vous ! Adieu encore une fois.

  1. Mme de Puisieux, sans doute.