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du voyage vous eût brisée et que vous fussiez restée entre la vie et la mort dans quelque misérable chaumière, croyez-vous que votre condescendance déplacée n’eût pas été autant à blâmer que l’inadvertance ou la dureté des autres ? Vous faites tout ce que vous pouvez pour me réconcilier avec votre sœur ; cela est fort bien ; mais répondez-moi. Vous dirai-je, comme vous disait votre mère dans une autre circonstance : Répondez-moi avec cette belle franchise que vous professez ? Si la petite Émilie eût été réduite dans un état pareil au vôtre, aurait-elle jamais souffert qu’on la déplaçât de son lit ? On a cherché à contrister madame votre mère, au hasard de vous faire périr. Ma bonne amie, laissons tout cela.

Mais, à propos du pauvre Vialet, seriez-vous une femme à m’excuser auprès de lui ? Croiriez-vous bien que je n’ai pas encore répondu à sa confiance ? Je le ferai ; mais il faut que j’aie la tête plus libre ; et puis, je serai vrai : mais le moyen de rien dissimuler et de ne pas empirer son mal ? Dites-lui tout ce que vous voudrez, promettez-lui une réponse de ma part, et cherchez tout ce qui pourra lui faire pardonner mon silence.

Vous vous plaignez des lieux que vous habitez, des occupations qui prennent votre temps, des gens que vous voyez ; et croyez-vous qu’on soit mieux ici ? Non, chère amie, tout y est aussi mal que là-bas, parce que vous n’êtes pas ici, parce que je ne suis pas là-bas. Rien ne manquerait où vous êtes, je n’aurais rien à désirer où je suis, si j’y étais, si vous y étiez. Comptons les jours écoulés, et tâchons d’oublier ceux qui sont encore à passer, vous loin de moi, mais loin de vous. Le discours de votre sœur à madame votre mère est excellent ; mais elle se fera haïr. Combien de gens avec qui nous n’avons jamais eu d’autres torts que d’avoir remarqué leurs sottises !

Il n’y a plus d’apparence que je reprenne mon journal : il vaut mieux que je l’achève ici en quatre mots. J’ai vu d’Argental, qui m’a encore parlé du projet des Comédiens sur le Père de Famille[1]. J’ai dîné avec l’abbé Sallier[2], chez moi ; madame a très-

  1. Le drame de Diderot fut en effet représenté le 18 février suivant.
  2. Claude Sallier, né à Saulieu (Côte-d’Or), en 1685, mort en 1761, membre de l’Académie française et de celle des Inscriptions, professeur d’hébreu au Collège de France et garde de la Bibliothèque du roi. Il avait commencé, avec l’abbé Saas, un catalogue dont il a été imprimé 5 vol. in-folio.