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XXXIII


Paris, le 2 septembre 1760.


J’attendais ce soir un mot de vous qui me rassurât sur le sort de mes deux dernières lettres. Il est sept heures : on a ouvert ici les dépêches ; et il n’y a rien chez M. Grimm. Que faut-il que je pense ? La curiosité, la méchanceté, l’infidélité, des contre-temps, que sais-je ? quoi encore ? Tout s’oppose donc à la douceur de notre commerce, et nous ravit le seul bien qui nous reste, l’unique consolation que nous ayons et qui nous est si nécessaire ! Je vous ai envoyé l’Épître du Diable ; je vous envoie Tancrède, qu’on joue demain. Si vous croyez que cette lecture puisse amuser quelques heures de notre chère sœur, faites-lui-en ma cour, ne m’oubliez jamais auprès d’elle, ni auprès de madame votre mère.

Je reçois à présent le numéro 7, et je n’apprends rien de mes lettres, voici pourtant la cinquième ; ces délais me désespèrent, mais il faut espérer que la personne qui a mis à la poste la lettre que je vous lis vous rapportera un paquet des miennes. Non, chère amie, tranquillisez-vous ; il ne m’est rien arrivé de fâcheux depuis votre départ. Vos inquiétudes sont les seules peines nouvelles que j’aie ressenties. Je n’ai point écrit à Châlons : votre mère avait dit en ma présence qu’elle ne voulait pas y séjourner plus de vingt-quatre heures. J’ai cru pouvoir compter sur la fermeté avec laquelle elle refusait un jour de plus à Mme Le Gendre, qui la sollicitait bien tendrement. Vous avez bien fait de consulter votre goût et votre santé sur la promenade qu’on vous proposait. Continuez, mettez-vous à votre aise, à présent que vous en avez des raisons ou des prétextes, afin qu’on y soit tout accoutumé dans la suite, et qu’on perde peu à peu le droit de vous mener à la lisière : n’y a-t-il pas assez longtemps qu’on abuse de vous ? Aimez votre mère, supportez ses humeurs, prêtez-vous à toutes ses fantaisies, allez au-devant de ses goûts, faites par raison tout ce que l’estime vous inspirerait ; mais conservez-vous. Supposons que la fatigue