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jouer de la harpe ; ce qui se fit hier en secret ; nous n’étions que Mme  d’Épinay, le comte et moi. Je ne connaissais point cet instrument. C’est un des premiers que les hommes ont dû inventer. Rien n’est plus simple que des cordes tendues entre trois morceaux de bois. Le comte enjoué d’une légèreté étonnante. Il ne laisse pas imaginer, par l’extrême facilité qu’il a, qu’il exécute les morceaux les plus difficiles. La harpe me plaît ; elle est harmonieuse, forte, gaie dans les dessus, triste et mélancolique dans le bas, noble partout, du moins sous les doigts du comte, mais moins pathétique que la mandore ; c’est peut-être que le comte Oginski, jeune, badin, folâtre, n’a pas encore le goût des chants tendres et touchants, et malheureusement ce sont les seuls qui m’émeuvent, m’agitent et m’enlèvent à moi-même. Le comte vint à sept heures. Il joua pour nous trois jusqu’à dix. À dix survinrent les acteurs différents d’un concert arrangé qui a duré jusqu’à trois heures du matin. Vous vous doutez bien que je ne restai pas. J’étais couché entre dix et onze. Je venais ce soir vous rendre compte de mon temps, et je ne vous trouve pas. Cela me fâche un peu ; mais qu’y faire ? Demain je vous verrai sûrement dans la matinée, et dans la soirée si je le peux. Vous auriez bien dû me dire un mot de votre santé. Bonsoir, ma tendre amie. À demain. J’aime à croire que vous n’avez point été indisposée ; j’ai bien des choses à vous dire ; n’oubliez pas de m’en faire ressouvenir. Mais ou êtes-vous à l’heure qu’il est, qu’il ne fait plus de jour pour écrire ni apparemment pour choisir des étoiles ?


XXXII


Paris, le 31 août 1760.


Voici ma quatrième. La première m’a fort inquiété. J’ai cru qu’elle avait été interceptée, et par qui encore ? Vous l’avez reçue à Châlons. Les deux suivantes vous ont été écrites, à Vitry, à l’adresse de M. de M*** ; l’une sous le contre-seing de M. de Courteilles, où je vous souhaitais une bonne fête et vous priais