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serez ces asiles de l’ignorance, de la superstition et de l’inutilité. — Voulez-vous vous taire ! vous ne savez donc pas que je veux fonder un couvent au Grandval ? — Beau projet !… Vous réduirez à la simple condition de citoyens ces hommes de droit divin qui opposent sans cesse leurs chimériques prérogatives à votre autorité ; vous reprendrez ce qu’ils ont extorqué de l’imbécillité de vos prédécesseurs ; vous restituerez à vos malheureux sujets la richesse dont ces dangereux fainéants regorgent ; vous doublerez vos revenus, sans multiplier les impôts ; vous réduirez leur chef orgueilleux à sa ligne et à son filet ; vous empêcherez des sommes immenses d’aller se perdre dans un gouffre étranger d’où elles ne reviennent plus ; vous aurez l’abondance et la paix ; et vous régnerez, et vous aurez exécuté de grandes choses, sans exciter un murmure, sans verser une goutte de sang. — Pardi c’est un bel instrument que la langue ; comme il enfile cela ! — Mais il faudrait, avant tout, qu’un souverain fût bien persuadé que l’amour de ses peuples est le seul véritable appui de sa puissance. Si, dans la crainte que les murs de son palais ne tombent en dehors, il leur cherche des étais, il y en a certains qui tôt ou tard les renverseront en dedans. Un souverain prudent isolera sa demeure de celle des dieux. Si ces deux édifices sont trop voisins, le trône sera gêné par l’autel, l’autel par le trône ; et il arrivera quelque jour que, portés l’un contre l’autre avec violence, ils s’ébranleront tous les deux. — Il ne serait pas difficile à un prince politique de soulever le haut clergé contre la cour de Rome, ensuite le bas clergé contre le haut, puis d’avilir le corps entier. — Les voilà-t-il pas qui rêvent comment on pourrait traîner la sainte Église de Dieu dans la boue ! Voulez-vous vous taire, vilains athées que vous êtes ! — Mais à propos, le petit Croque-Dieu de Sussy ne vient-il pas souper ? — Pardi, mon gendre, s’il vient, ménagez un peu ses oreilles ; comment voulez-vous qu’il dise la messe, quand il a ri de vos ordures ? — Qu’il ne la dise pas. — Il ne lui est pas aussi facile de se passer de la dire qu’à vous de l’entendre. — Je ne doute point que cela n’arrive un jour. — Pardi, je le voudrais bien ; c’est un petit homme ; il rit de si bon cœur. — Il ne s’agit que de persuader aux évêques de se passer du pape, et aux curés de partager avec les évêques. — Si vous me renvoyez là, il a la mine d’attendre longtemps..... Mademoiselle Anselme,