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d’imprimer des livres en général, ou des livres sur une matière particulière, comme la théologie, la médecine, la jurisprudence ou l’histoire, ou des ouvrages sur un objet déterminé, tels que l’histoire d’un prince, le traité de l’œil, du foie ou d’une autre maladie, la traduction d’un auteur spécifié, une science, un art ; si ce droit était un acte de la volonté arbitraire du prince, sans aucun fondement légitime que son bon plaisir, sa puissance, sa force, ou la prédilection d’un mauvais père qui détournerait les yeux de dessus ses autres enfants pour les arrêter sur un seul, de tels privilèges seraient évidemment opposés au bien général, au progrès des connaissances et à l’industrie des commerçants.

Mais encore une fois, monsieur, ce n’est pas cela : il s’agit d’un manuscrit, d’un effet légitimement cédé, légitimement acquis, d’un ouvrage privilégié qui appartient à un seul acquéreur, qu’on ne peut transférer soit en totalité, soit en partie à un autre sans violence, et dont la propriété individuelle n’empêche point d’en composer et d’en publier à l’infini sur le même objet. Les privilégiés de l’Histoire de France de Mézeray n’ont jamais formé de prétention sur celles de Riencourt, de Marcel, du président Hénault, de Le Gendre, de Bossuet, de Daniel, de Velly. Les propriétaires du Virgile de Catrou laissent en paix les possesseurs du Virgile de La Landelle, de Lallemant et de l’abbé Desfontaines, et la jouissance permanente de ces effets n’a pas plus d’inconvénients que celle de deux prés ou de deux champs voisins assurée à deux particuliers différents.

On vous criera aux oreilles : « Les intérêts des particuliers ne sont rien en concurrence avec l’intérêt du tout. » Combien il est facile d’avancer une maxime générale que personne n’ose contester ! mais qu’il est difficile et rare d’avoir toutes les connaissances de détail nécessaires pour en prévenir une fausse application !

Heureusement pour moi, monsieur, et pour vous, j’ai à peu près exercé la double profession d’auteur et de libraire, j’ai écrit et j’ai plusieurs fois imprimé pour mon compte, et je puis vous assurer, chemin faisant, que rien ne s’accorde plus mal que la vie active du commerçant et la vie sédentaire de l’homme de lettres. Incapables que nous sommes d’une infinité de petits soins, sur cent auteurs qui voudront débiter eux-mêmes leurs ouvrages, il y en a quatre-vingt-dix-neuf qui s’en trouveront mal et s’en