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j’aurais eu quelqu’un à qui j’aurais ouvert mon cœur et parlé de vous. Ce cœur est malade, il est rempli de sentiments qui le surchargent et qui n’en peuvent sortir. Je prévois que l’ennui et le chagrin ne tarderont guère à me gagner, et qu’il faudra souffrir ou s’en retourner.

Il y a à Valence, en Dauphiné, un M. Daumont[1] qui me rendrait un grand service, s’il le voulait. J’en attends depuis deux mois des papiers qui compléteraient deux lettres, de seize que j’ai à rendre aux libraires. J’ai prié Le Breton de m’instruire de l’arrivée de ces papiers, de l’argent à toucher, de l’ouvrage à rendre. Les bons prétextes pour retourner à Paris ! Ces papiers ne viendront-ils point ?

Je travaille beaucoup ; mais c’est avec peine. Il est une idée qui se présente sans cesse, et qui chasse les autres : c’est que je ne suis pas où je veux être. Mon amie, il n’y a de bonheur pour moi qu’à côté de vous ; je vous l’ai dit cent fois, et rien n’est plus vrai. Si j’étais condamné à rester longtemps ici et que je ne pusse vous y voir, il est sûr que je ne vivrais pas ; je périrais d’une ou d’autre façon. Les heures me paraissent longues ; les jours n’ont point de fin ; les semaines sont éternelles, je ne prends un certain intérêt à rien : si vous éprouvez les mêmes choses, que je vous plains ! Mais que fait donc ce Grimm à Genève ? qui est-ce qui l’y retient ? Encore si je l’avais !

Il n’y a point de doute que si madame votre mère avait eu avec moi les procédés que je méritais, ou je ne serais pas venu ici, ou j’en serais déjà revenu. Mais je me dis : Quand je serais à Paris, qu’y ferais-je ? Plus voisin d’elle et ne la voyant pas davantage, je n’en serais que plus tourmenté. Peut-être ajouterais-je à ses peines, par quelque visite inconsidérée ? Et votre petite sœur, en avez-vous des nouvelles ? Comment se porte-t-elle ? Sa santé déjà ébranlée par les peines qu’elle a…

(Le reste de la lettre manque.)
  1. Daumont (Arnulphe), savant médecin dauphinois, né en 1720, mort en 1800.