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J’oubliais de vous dire que je ne fis point les vers demandés, et que je suis parti sans rendre la visite à ma marquise.


XV


À Isle[1], 23 août 1759.


J’y suis, mademoiselle, dans ce séjour où je me suis fait attendre si longtemps. La chère maman avait la meilleure envie de me gronder, c’est-à-dire le plus grand empressement de vous rejoindre ; mais vous savez combien en même temps elle est indulgente et bonne. Je lui ai dit mes raisons ; elle ne les a pas désapprouvées, et nous avons été contents. Il était à peu près six heures lorsque la chaise est entrée dans l’avenue. J’ai fait arrêter ; je suis descendu ; je suis allé au-devant d’elle les bras ouverts ; elle m’a reçu comme vous savez qu’elle reçoit ceux qu’elle aime de voir ; nous avons causé un petit moment d’un discours fort interrompu, comme il arrive toujours en pareil cas. « Je vous espérais ce jour-là… — … Je le voulais ; mais cela n’a pas été possible. — … Et cet autre jour-là ?… — Comment le refuser à un frère, à une sœur qui l’ont demandé ?… — Vous avez eu bien chaud ?… — Oui, surtout depuis Perthes ; car j’avais le soleil au visage..... — Bien fatigué ?… — Un peu… — Votre santé me paraît bonne..... Je vous trouve le visage meilleur..... Et vos affaires ? — Tout est arrangé..... — Tout est arrangé !..... Mais vous avez peut-être besoin d’être seul ; venez, je vais vous mener chez vous..... »

J’ai donné la main, et l’on m’a conduit dans la chambre du

  1. Le château d’Isle et le parc, dont J. N. Volland a laissé le plan, furent achetés en 1786 par le comte de Paillot, dont la tombe se voit dans le cimetière du village. Ils appartinrent ensuite aux familles de Chiézat et Rouvay, puis à M. Royer, enfin à M. Chauvel. C’est la veuve de celui-ci qui les possède aujourd’hui.

    Le château n’a que fort peu changé depuis un siècle. Les « boisures » dont parle Diderot et leurs trumeaux naïfs existent encore. Les grandes et les petites vordes n’ont pas perdu un seul de ces peupliers sous lesquels Diderot vint plus d’une fois rêver, et leurs pieds sont souvent baignés par sa « triste et tortueuse compatriote, la Marne », qui borne la propriété.