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dant rien n’est plus certain. Mais ne nous en laissons pas imposer par les mots.

Ce titre odieux qui consiste à conférer gratuitement à un seul un bénéfice auquel tous ont une égale et juste prétention, voilà le privilège abhorré par le bon citoyen et le ministre éclairé. Reste à savoir si le privilège du libraire est de cette nature. Mais vous avez vu par ce qui précède combien cette idée serait fausse : le libraire acquiert par un acte un manuscrit ; le ministère, par une permission, autorise la publication de ce manuscrit, et garantit à l’acquéreur la tranquillité de sa possession. Qu’est-ce qu’il y a en cela de contraire à l’intérêt général ? Que fait-on pour le libraire qu’on ne fasse pour tout autre citoyen ?

Je vous demande, monsieur, si celui qui a acheté une maison n’en a pas la propriété et la jouissance exclusive ; si, sous ce point de vue, tous les actes qui assurent à un particulier la possession fixe et constante d’un effet quel qu’il soit ne sont pas des privilèges exclusifs ; si, sous prétexte que le possesseur est suffisamment dédommagé du premier prix de son acquisition, il serait licite de l’en dépouiller ; si cette spoliation ne serait pas l’acte le plus violent de la tyrannie, si cet abus du pouvoir tendant à rendre toutes les fortunes chancelantes, toutes les hérédités incertaines, ne réduirait pas un peuple à la condition de serfs et ne remplirait pas un État de mauvais citoyens. Car il est constant pour tout homme qui pense que celui qui n’a nulle propriété dans l’État, ou qui n’y a qu’une propriété précaire, n’en peut jamais être un bon citoyen. En effet, qu’est-ce qui l’attacherait à une glèbe plutôt qu’à une autre ?

Le préjugé vient de ce qu’on confond l’état de libraire, la communauté des libraires, la corporation avec le privilège et le privilège avec le titre de possession, toutes choses qui n’ont rien de commun, non, rien, monsieur ! Eh ! détruisez toutes les communautés, rendez à tous les citoyens la liberté d’appliquer leurs facultés selon leur goût et leur intérêt, abolissez tous les privilèges, ceux même de la librairie, j’y consens ; tout sera bien, tant que les lois sur les contrats de vente et d’acquisition subsisteront.

En Angleterre, il y a des marchands de livres et point de communauté de libraires ; il y a des livres imprimés et point de privilèges ; cependant le contrefacteur y est déshonoré comme