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J’ai passé, les premiers jours, fort renfermé. Je ne me portais pas assez bien pour me répandre. Voici que je me porte mieux et que je commence à n’être plus à moi, c’est une maladie plus fâcheuse que la première. Ce sont des visites à recevoir et à rendre sans fin, et des repas qui commencent le plus tôt et qui durent le plus tard qu’on peut. Ils sont gais, tumultueux et bruyants ; des plaisanteries ; ah dieu ! quelles plaisanteries ! Je n’aime pas trop tout cela, et je n’en avais pas besoin pour sentir tout ce que j’avais perdu en vous quittant ; et puis, le sot personnage à faire que celui de buveur d’eau au milieu d’une cohue de gens dont le mérite principal pour eux et pour les autres est de bien boire. Il faut cependant se prêter et paraître content. On est à la vérité soutenu par le bon cœur du maître et de la maîtresse de la maison, qui se montre à tout moment. On est si aise de m’avoir ! le moyen de résister à cela ? J’ai regretté plusieurs fois d’avoir renoncé au vin ; il est excellent. On en boirait tant qu’on voudrait et sans conséquence ; et l’on serait, au moins sur la fin de la nuit, de niveau avec ses convives.

Si demain je ne reçois pas mes deux lettres, la tête m’en tournera. Que faites-vous, vous et votre chère sœur ? Vous causez, vous ; vous m’aimez, vous ; vous le dites, vous ; vous vous faites les moments les plus doux, tandis que moi je parle affaires, je joue au trictrac et je dispute. Au milieu de cela, j’envoie quelquefois ma pensée aux lieux où vous êtes, et je me distrais. Combien j’irai vite en m’en retournant ! Un oiseau qui a rompu le fil qui le tenait attaché n’aura pas de meilleures ailes. Je soupçonne mon frère et ma sœur de tirer les choses en longueur pour me retenir auprès d’eux plus longtemps. Ils ne savent pas mon impatience, ou ils en font honneur à tel ou telle qui n’y est pour rien.

Je n’ai pas encore écrit au baron d’Holbach. Je viens de recevoir une belle lettre de Grimm ; oh ! pour cela bien belle et bien tendre, presque comme si vous l’aviez dictée. Le peu de condisciples qui me restent, répandus dans les environs de la ville, me sont venus voir : il n’y en a plus guère ; ils sont presque tous passés. Deux choses nous annoncent notre sort à venir et nous font rêver : les ruines anciennes, et la courte durée de ceux qui ont commencé de vivre en même