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la fortune la mieux assurée ; et sans la sûreté des privilèges qu’on accordait, et pour ces ouvrages pesants, et pour d’autres dont le courant fournissait à ces tentatives, comment auront-on osé s’y livrer quand on l’aurait pu ?

Le Conseil, convaincu par expérience de la sagesse de ses règlements, les soutint et les a soutenus jusqu’à nos jours par une continuité d’arrêts qui vous sont mieux connus qu’à moi.

M. l’abbé Daguesseau, placé à la tête de la librairie, n’accorda jamais de privilège à d’autres qu’à ceux qui en étaient revêtus, sans un désistement exprès.

Le droit de privilège, une fois accordé, ne s’éteignit pas même à son expiration : l’effet en fut prolongé jusqu’à l’entière consommation des éditions.

Plusieurs arrêts, et spécialement celui du Conseil du 10 janvier prononça contre des libraires de Toulouse la confiscation de livres qu’ils avaient contrefaits après l’expiration des privilèges. Le motif de la confiscation fut qu’il se trouvait de ces livres en nombre dans les magasins des privilégiés, et ce motif, qui n’est pas le seul, est juste. Un commerçant n’est-il pas assez grevé par l’oisiveté de ses fonds qui restent en piles dans un magasin, sans que la concurrence d’un contrefacteur condamne ces piles à l’immobilité ou à la rame ? N’est-ce pas le privilégié qui a acquis le manuscrit de l’auteur et qui l’a payé ? Qui est-ce qui est propriétaire ? Qui est-ce qui l’est plus légitimement ? N’est-ce pas sous la sauvegarde qu’on lui a donnée, sous la protection dont il a le titre signé de la main du souverain, qu’il a consommé son entreprise ? S’il est juste qu’il jouisse, n’est-il pas injuste qu’il soit spolié et indécent qu’on le souffre ?

Telles sont, monsieur, les lois établies sur les privilèges ; c’est ainsi qu’elles se sont formées. Si on les a quelquefois attaquées, elles ont été constamment maintenues, si vous en exceptez une seule circonstance récente.

Par un arrêt du 14 septembre 1761, le Conseil a accordé aux descendantes de notre immortel La Fontaine le privilège de ses Fables, Il est beau sans doute à un peuple d’honorer la mémoire de ses grands hommes dans leur postérité. C’est un sentiment trop noble, trop généreux, trop digne de moi, pour qu’on m’entende le blâmer. Le vainqueur de Thèbes respecta la maison de Pindare au milieu des ruines de la patrie de ce poète, et