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XXX


Ceci, mon ami (car je ne saurais m’empêcher de vous appeler de ce nom), n’est point une réponse à la lettre outrageante que vous m’avez écrite. J’attends que l’indignation et la douleur soient sorties de mon cœur, pour vous faire rougir de vos injures réfléchies et rédigées par paragraphes. Il se pourrait faire que j’eusse commis quelque faute grave que ma conscience ne me reprochât pas ; mais je ne me pardonnerais jamais celle que vous avez commise, en traitant un homme, dont les sentiments ne vous sont pas suspects, aussi indignement que vous l’avez fait. Prenez-y garde, la solitude de Pétersbourg et la faveur d’une grande souveraine vous corrompent. Vous êtes menacé de devenir méchant ; car le premier pas est de voir la méchanceté où elle n’est pas ; et ce pas, vous l’avez fait. Il faut que vous ayez bien peu d’amour-propre ou que vous fassiez bien peu de cas du jugement et de l’estime du prince de Galitzin pour lui avoir envoyé ma lettre, et m’avoir transmis par ses mains un torrent de fiel et d’orgueil. Mais laissons cela, mon âme se gonfle, et je sens que j’expierais votre faute, par l’amertume de mes reproches. J’aime mieux que vous soyez coupable tout seul que de l’être avec vous. Je ne vous recommande point le jeune homme qui vous remettra ce billet ; mais j’espère que Mlle Collot ne lui refusera pas les conseils dont il peut avoir besoin. Il s’agit de l’empêcher d’être dupe, voilà tout. Je salue ma jeune et tendre amie, je l’embrasse de tout mon cœur.

Personne ne se réjouit plus sincèrement que moi de ses succès. Nous nous faisions tous une fête de la voir, et ce n’est pas sans peine que notre espérance a été trompée. Je suis toujours votre ami, mais votre ami grièvement offensé. Vous devez avoir reçu l’ouvrage de M. Lempereur sur la fonderie[1]. C’est le

  1. Description des travaux qui ont précédé, accompagné et suivi la fonte en bronze d’un seul jet de la statue équestre de Louis XIV, dressée sur les mémoires de M. Lempereur, par M. Mariette. Paris, 1768, in-folio atlantique.