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pertinent. Il y a quelques autres détails qui ne me reviennent pas. Je suis sûr que vous direz : Voilà qui est bien. Si toutes les injustices étaient ressenties et le ressentiment témoigné de cette manière, on en commettrait moins.


XVIII


Et je manquerais une occasion de causer avec mes amis ! Oh ! que non. Voilà à côté de ma table un jeune homme qui part pour Pétersbourg et qui a la complaisance d’attendre que je vous aie dit quelques douceurs. Je m’ennuie de ne vous point voir, je m’ennuie de ne point entendre parler de vous ! L’intérêt que je prends à votre santé, à vos ouvrages, me fait à tout moment oublier l’intervalle énorme qui nous sépare. Où en êtes-vous ? que faites-vous ? êtes-vous heureux ? Si vous l’êtes, je me garderai bien de corrompre votre bonheur par l’éternelle histoire de mes peines. Depuis cinq ou six mois, le calice amer de la vie ne s’est pas éloigné un moment de mes lèvres. Le jeune homme qui vous remettra ce billet m’est recommandé par M. Bernard. Il va en Russie avec des idées d’établissement et de commerce. À juger de ses mœurs et de ses talents par ses liaisons et ses amis dans ce pays-ci, je crois qu’il mérite que les honnêtes gens lui prêtent la main. S’il a besoin d’un bon conseil, et vous le demande, ne le lui refusez pas. Dites-lui, d’après les idées qu’il vous communiquera, ce qu’il faut qu’il fasse et qu’il dise. Mais vous ne me répondez pas sur le compte de M. Le Paige. Ce M. Le Paige n’est pourtant pas un homme d’un mérite ordinaire. En voulez-vous ? N’en voulez-vous point ? Il me semble que dans les circonstances présentes, ses connaissances et ses talents devraient le faire désirer. Je crois, mon ami, qu’il y a des hommes et même des hommes rares en Russie ; je crois même qu’il y en a au fond des forêts des Abenakis ou des huttes des Hottentots : mais des hommes instruits, éclairés, cultivés, c’est autre chose. Ce ne sont pas des arbres