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chants, et se taire les sots, dont aussi bien vous n’entendriez rien qui pût vous flatter jusqu’à un certain point. C’est une bien petite vanité que celle qui court après une louange de nulle valeur. Le véritable éloge c’est le nôtre, c’est celui du maître ; c’est la récompense, c’est la protection continue de l’impératrice ; c’est elle qui sent, c’est elle qui a des yeux, c’est à elle qu’il faut avoir plu.

Toujours en attendant la note de Le Moyne, je causerai avec vous, jusqu’à ce qu’elle vienne. Le prince de Galitzin avait demandé, pour l’impératrice, un tableau à chacun de nos bons artistes : Michel Van Loo, Vernet, Vien, Casanove, Boucher. Il ne faut rien attendre de Vernet, il est trop occupé, et il doit, de reconnaissance, tout son temps à M. de Laborde qui lui paye la vente du prix de ses tableaux d’avance. Rien non plus de Boucher, qui est léger, caduc et paresseux. Casanove a presque fini le sien. Je ne vous en parlerai pas : je ne l’ai pas vu. C’est un sujet dans son genre, et qu’il a travaillé de son mieux. Le sujet de celui de Vien est charmant : c’est un Mars qui, las de reposer entre les bras de Vénus, lui demande la permission d’aller se ragoûter en tuant quelques milliers d’hommes. La déesse y a consenti. Il cherche son casque. Il ne le trouve point. Vénus debout, lui souriant toute nue, un bras jeté sur ses épaules, lui montre, de l’autre main, ce casque dans lequel ses colombes ont fait leur nid. Il y a, par derrière les deux principales figures, des amours malins qui se sont emparés du reste de ses armes. Michel a fait un concert espagnol. Il y a mis une vingtaine de figures. Son tableau est achevé. Il est supérieurement peint ; grande vérité dans les physionomies des concertants ; sage sans être froid ; et puis des étoffes à s’y tromper. Vu dans un miroir, c’est la nature même. Il en coûtera de l’argent à l’impératrice, moins cependant qu’au roi de Pologne, et j’espère qu’elle sera mieux servie. C’est que nous laissons aller les artistes à leur fantaisie, et que Mme Geoffrin veut les faire aller à la sienne. C’est pour se soustraire à son despotisme que Boucher, qui s’était d’abord chargé de la Continence de Scipion, a renvoyé ce travail à Vien.

Une chose qu’il faut que je vous dise : c’est qu’on perd le goût de la nature, et que quand une fois on l’a perdu, on n’y peut plus revenir. Il y a quelque temps que Boucher fit venir