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comme les éléments de la jurisprudence sur les possessions et les acquisitions, le Parlement continua d’improuver par ses arrêts les renouvellements et prorogations de privilèges, sans qu’on en puisse imaginer d’autre raison que celle-ci : c’est que n’étant pas suffisamment instruit de la révolution qui s’était faite dans la police de la librairie et la nature des privilèges, l’épouvantail de l’exclusif le révoltait toujours. Mais le Conseil, plus éclairé, j’ose le dire, distinguant avec raison l’acte libre de l’auteur et du libraire, du privilège de la chancellerie, expliquait les arrêts du Parlement et en restreignait l’exécution aux livres anciens qu’on avait originairement publiés d’après des manuscrits communs, et continuait à laisser et à garantir aux libraires la propriété de ceux qu’ils avaient légitimement acquis d’auteurs vivants ou de leurs héritiers.

Mais l’esprit d’intérêt n’est pas celui de l’équité. Ceux qui n’ont rien ou peu de chose sont tout prêts à céder le peu ou le rien qu’ils ont pour le droit de se jeter sur la fortune de l’homme aisé. Les libraires indigents et avides étendirent contre toute bonne foi les arrêts du Parlement à toutes sortes de privilèges, et se crurent autorisés à contrefaire indistinctement et les livres anciens et les livres nouveaux lorsque ces privilèges étaient expirés, alléguant, selon l’occasion, ou la jurisprudence du Parlement, ou l’ignorance de la prorogation du privilège.

De là une multitude de procès toujours jugés contre le contrefacteur, mais presque aussi nuisibles au gagnant qu’au perdant, rien n’étant plus contraire à l’assiduité que demande le commerce que la nécessité de poursuivre ses droits devant les tribunaux.

Mais la conduite d’une partie de ces libraires qui, par l’attrait présent d’usurper une partie de la fortune de leurs confrères, abandonnait celle de leur postérité à l’usurpation du premier venu, ne vous paraît-elle pas bien étrange ? Vous conviendrez, monsieur, que ces misérables en usaient comme des gens dont les neveux et les petits-neveux étaient condamnés à perpétuité à être aussi pauvres que leurs aïeux. Mais j’aime mieux suivre l’histoire du code de la librairie et de l’institution des privilèges que de me livrer à des réflexions affligeantes sur la nature de l’homme.