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sence d’un homme habile, juste et ferme. Comme tu aurais secondé Dumont et quelques autres ! Cependant le bruit qu’on a donné le prix à Moitte parvient aux élèves. Ce fut une consternation d’abord, puis le murmure de l’indignation. L’abbé Pommyer, honoraire, se présenta le premier pour sortir. Il demanda qu’on lui fît passage. On s’ouvrit et on lui cria : Passe, foutu âne. Moitte parut ensuite, et ce fut un tumulte effroyable de cris et d’injures. Il leur disait, en tremblant : Messieurs, ce n’est pas moi, c’est l’Académie ; et ils lui répondaient : Si tu n’es pas un infâme, comme ceux qui t’ont nommé, remonte, et va leur dire que tu ne veux pas entrer.

Les académiciens hésitaient de se montrer, ils s’attendaient à la huée, et ils ne furent point trompés. Elle dura plus d’une heure, mêlée de sifflets, de bourdonnements, d’éclats et d’injures. Cochin avait beau leur dire : Messieurs, que les mécontents viennent s’inscrire chez moi, on ne l’écoutait pas. On continuait de huer, de honnir de bafouer. Tout cela se passait dans l’intervalle de votre billet du 18 et de celui du 29, où vous demandiez précisément qu’on vous envoyât ce Millot à qui on venait de faire une injustice. Je courus chez Le Moyne. Le Moyne levait les mains au ciel et s’écriait : La Providence ! la Providence ! Je ne pus m’empêcher de prendre votre ton bourru, et de lui dire : La Providence, la Providence, est-ce que tu crois qu’elle est faite pour réparer vos sottises ? Millot survint. Le Moyne lui parla. Le lendemain, il me l’envoya. Ce jeune homme était désolé. Il me disait d’un ton à déchirer : Il y a dix-sept ans que mes pauvres parents me nourrissent et au moment où j’espérais !… Il y a dix-sept ans que je travaille depuis le point du jour jusqu’à la nuit. Je suis perdu, car qu’est-ce qui me dit que Foucou ou quelque autre ne m’ôtera pas le prix de l’année prochaine ? Je crus le moment favorable à vos vues. J’exigeai le secret, et il m’en donna sa parole d’honneur. Je lui fis votre proposition ; il m’en remercia dans les termes les plus affectueux, et me demanda le reste de la journée pour en délibérer avec M. Le Moyne et avec lui-même. Il est revenu et il m’a dit qu’on ne se livrait pas à l’étude de son art par intérêt ; qu’il sentait tout l’avantage du traité que je lui proposais ; mais qu’il fallait offrir à l’Académie l’occasion de réparer son tort. Aller à Rome ou mourir.