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vision ni en noir ni en blanc. Il raconte les choses comme elles se sont passées sans manquer au respect qu’il doit à Sa Majesté Impériale, ni à la présence d’un homme comblé de ses bienfaits.

Je n’entends rien à l’histoire de M. Gleboff, à qui on va dire de vous des horreurs, pour prix d’un service rendu. Mon ami, je ne crois point aux invraisemblances. Qu’il soit échappé à une femme légère un mot indiscret, offensant, déplacé, cela se peut. Que ce mot ait été étendu, commenté, paraphrasé par une autre femme, et que pour donner plus d’importance à la chose on y ait fourré l’ami de la première, voilà qui est de tout pays, et ce que je ne refuse point de croire.

Cher Falconet, si le la Rivière est un serpent mâle ou femelle, je ne me connais pas en serpent, et le plus court est de ne vous adresser personne. Si quelqu’un donc se présente à votre porte de ma part, fût-ce le pape, dites-lui qu’il en impose.

Flatter la vanité, flatter la cupidité ; mais, mon ami, est-ce que vous ne connaissez plus la valeur des termes? Je sais dire une chose honnête et douce ; mais je ne flatte point. Nous avons pu faire concevoir à M. de la Rivière quelques espérances fondées sur son mérite et la bienfaisance de l’impératrice. Rien n’est plus simple. Du mérite il en a, et beaucoup. On le dit ici. Des services ; on n’entreprend pas un voyage de plus de sept cents lieues, sans se croire utile.

Quant à la bienfaisance de l’impératrice, il était assez superflu d’en entretenir un homme qui me voyait.

Mon ami, ombrageux comme vous l’êtes, je ne connais personne au monde pour qui l’approche d’un méchant soit plus dangereuse que pour vous. Vous croyez le mal facilement. Votre sensibilité vous l’exagère. Un méchant vous brouillerait avec une capitale entière. Vous avez besoin dans le commerce habituel d’un ami très-indulgent, et vous l’avez trouvé. Je garde vos lettres. Quelque jour, je les mettrai sous vos yeux, et vous verrez jusqu’où vous avez étendu le privilège de l’amitié. Il me semble que quand on est de chair, il ne faut pas croire que les autres sont de marbre.

Je ne serais point étonné qu’un homme poussât la complaisance un peu loin pour une femme qui se met au-dessus des