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passent à la postérité. Elles attesteront combien j’avais gagné mon siècle de vitesse. Falconet, souvenez-vous de ce que je vais vous dire. Tout ce qui se fera de bien, ici ou ailleurs, se fera d’après ses principes. Le Montesquieu a connu les maladies, celui-ci a indiqué les remèdes, et il n’y a de vrais remèdes que ceux qu’il indique. Ceux qui affectent de soutenir le contraire sont, ou des gens de mauvaise foi, ou des morveux qui prononcent sur tout, et n’ont profondément réfléchi sur rien. N’est-ce pas une honte que d’entendre des philosophes décrier l’évidence ? S’est-il fait dans aucun temps, chez aucune nation, chez aucun peuple quelque chose de bien que par la lumière ? Si l’évidence n’est rien, que sont les créateurs de l’évidence ? Des bavards importuns plus inutiles et plus méprisables que les derniers des citoyens ? En professant eux-mêmes leur nullité, craignent-ils que le magistrat ne soit pas suffisamment autorisé à les faire étrangler ? Ils disent que l’opinion est la reine du monde, et ils nient que la vérité, qui n’est que l’opinion démontrée, accrue de la force de l’expérience et de la raison, puisse quelque chose ! Ils oublient que ce n’est que par la lumière que les mauvais usages ont passé, que les mauvaises lois se sont abolies, que les préjugés se sont affaiblis, que les législations se sont rectifiées, que les nerfs de la superstition ont été coupés, que les fureurs du despotisme se sont tempérées ; en un mot que les nations barbares se sont avancées peu à peu à un état plus policé. Ils ne se sont jamais demandé pourquoi tant de révolutions, tant de troubles, tant d’épées tirées, tant de sang répandu, sans aucun avantage pour l’espèce humaine. Jamais ils ne se sont répondu : c’est qu’on était mal et qu’on ignorait comment se mettre mieux. Ils prêchent sans cesse la liberté de la presse, et ils ne voient pas que celui qui est en même temps défenseur de la liberté de la presse et détracteur de l’évidence est le plus absurde de tous les hommes. Ils ne voient pas, s’ils ont raison, que le philosophe est un imbécile de vouloir parler, et que le souverain qui l’en empêche est un autre imbécile de le faire taire. Ils ne voient pas que, dans cette contrée même, le géant à quatre cent mille bras reste immobile lorsqu’il redoute la réclamation générale. Ils ne savent ce que c’est que la force d’un corps de propriétaires maîtres de la subsistance d’un État, et d’une nation où il y aurait seulement dix mille hommes assez