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bonheur de ta vie. Alors tu te souviendras de ma prédiction et tu t’écrieras : Diderot, Diderot, il ne faut jamais répondre que par des actions ! Les actions se remarquent. On s’enquiert, et le tort revient à celui qui l’a mérité.

Eh bien ! jeune amie, un Fontaine prétend qu’il a fait vos deux têtes ; enfermez-vous dans votre atelier, que le Fontaine n’y mette pas le pied. Faites une tête plus belle que celle qu’il s’approprie, et cette tête dira plus fortement que vous que Fontaine est un imposteur ; et qu’importe que vous ayez lu, admiré cent fois la fable des abeilles et des guêpes, si vous n’en profitez pas ! Lorsque mon Falconet écrit au Fontaine que son czar pourrait bien passer pour son ouvrage, sa bêtise me fait sourire ; et tu crois, mon ami, qu’il dépend de toi, de Fontaine, de quelques sots, d’un Russe, de toutes les Russies de faire le maître de l’écolier et l’écolier du maître. Tu me dis bien nettement que les Russes sont des brutes, tu les condamnes à rester brutes à jamais, et tu oublies que les vrais juges de Falconet sont ici, sont partout où tes ouvrages sont connus, partout où l’on prononce le mot ciseau, même à Pétersbourg. L’impératrice n’aurait eu qu’à faire de sa lèvre le mouvement du mépris, le Betzky hausser les épaules ; et le Fontaine s’en serait retourné tout doucement à sa place et à son tablier. Tu captes le moment, mon ami, tu embrasses la multitude ; tu es pourtant bien fait pour voir plus loin, et t’en rapporter à de meilleurs juges. C’était le Goldoni qui avait fait mon Fils naturel. Sans Grimm, mon ami, jamais je n’aurais fait le Père de Famille. Je serais écrasé sous le fardeau de l’Encyclopédie, si d’Alembert se retirait. Voilà ce qu’ils ont crié sur les toits. Qui est-ce qui les a crus ?

J’avais retiré de la misère un jeune littérateur qui n’était pas sans talent ; je l’avais nourri, logé, chauffé, vêtu pendant plusieurs années. Le premier essai de ce talent que j’avais cultivé, ce fut une satire contre les miens et moi. Le libraire, que je ne connaissais pas, plus honnête que l’auteur, m’envoya les épreuves et me proposa de supprimer l’ouvrage. Je n’eus garde d’accepter cette offre. La satire parut. L’auteur eut l’impudence de m’en apporter lui-même le premier exemplaire. Je me contentai de lui dire : « Vous êtes un ingrat. Un autre que moi vous ferait jeter par les fenêtres, mais je vous sais gré de m’avoir