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vous-même lorsqu’il se présenta chez vous. Vous ne me persuaderez pas qu’il soit devenu tout à coup injuste, insolent et insensé. Vous lui aurez attribué quelques propos indiscrets de caillettes. Vous aurez donné de l’importance à des choses qui ne méritaient que du mépris ; et vous vous serez manqué à vous-même, à Mlle Collot et à votre nation en donnant aux Russes une scène tout à fait ridicule. Deux hommes de mérite français ne peuvent être ensemble un mois à Pétersbourg sans s’arracher les yeux ! Il me semble que j’entends d’ici les Russes s’écrier : Voilà donc ce que c’est que les francxouski manières ! Vous avez manqué à l’impératrice en portant à son auguste tribunal une misérable petite affaire de commissaire. Vous avez fait un mauvais mémoire, louche, entortillé, injurieux. L’impératice a bien besoin d’être troublée au milieu des soucis de son empire d’un pareil commérage, et où en serait notre monarque s’il fallait qu’il entrât dans ces puérilités dont moi, pauvre petit chef de famille, je ne souffrirais pas qu’on m’importunât les oreilles ? Si j’avais été à côté de vous, ou vous vous seriez contenté de porter vous-même votre plainte à M. de la Rivière ; ou vous lui auriez écrit à lui-même, à lui seul, une lettre décente et modérée, et d’autant plus cruelle qu’il y aurait eu plus de décence et de modération, ou, ce qui aurait infiniment mieux valu, vous seriez demeuré en repos. Je ne réponds pas des collègues de M. de la Rivière ; ce peuvent être des étourdis, des têtes échauffées, des espèces de missionnaires enthousiastes, à qui le zèle indiscret aura fait dire force inepties. Mais pour M. de la Rivière, je ne suis ni plus ni moins sûr de son honnêteté et de sa réserve que de la mienne ou de tout autre homme quel qu’il soit. Il s’est montré ferme, incorruptible et prudent dans les chambres et séances du Parlement, fier et désintéressé dans l’administration de nos colonies, grand politique, grand logicien, homme d’expérience, homme à longue vue dans son ouvrage et dans ses entretiens. Je ne l’ai pas connu pendant un jour. Je l’ai vu, sondé, tâté par tous les côtés pendant des mois entiers, et je me suis toujours séparé de lui également satisfait de ses idées, de son ton, de ses manières, de ses lumières et de sa modestie. Une nation tout entière, ce qu’il y a de gens sensés et éclairés dans toute une nation ne se trompent pas, convaincus sur les qualités et le mérite d’un homme. Ah !