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morgue du rang est toujours en raison de la petitesse de celui qui l’occupe. Plus le souverain se distingue de l’homme, plus il confesse qu’il est un pauvre homme. S’il y a de pauvres diables d’auteurs, il y a de pauvres diables de rois. Le pauvre diable est de tous les états. Celui qui s’enveloppe sans cesse du manteau royal pourrait bien ne cacher là-dessous qu’un sot. Titus, Trajan, Marc-Aurèle, Henri se laissaient approcher, tâter, manier de tous les côtés, et je veux mourir si j’étais plus embarrassé de parler à l’impératrice de toutes les Russies qu’à ma sœur et à mon frère. L’honnêteté de mon âme me répondrait à moi-même de mon propos et de ma pensée. Son indulgence et sa bonté feraient le reste.

Vous êtes donc content, bien content du portrait de l’impératrice ! Tant mieux, mon ami, pour le maître et pour l’élève. C’est votre suffrage qu’elle doit surtout ambitionner, et c’est presque vous-même que vous louez en elle. Quand elle travaille bien, votre ciseau n’a fait que changer de main.

Puisque vous revenez encore à nos lettres de Paris, j’y reviens aussi. Je ne sais plus, mais plus du tout, ce que c’est que les premières, et pour en croire le bien que vous m’en dites, il faudrait que je les relusse. Faites-les-moi donc relire. Vous êtes bien osé d’avoir communiqué cette causerie à l’impératrice ? Combien je lui aurai paru petit et mesquin ! Vous n’êtes guère jaloux de l’honneur de votre ami. Est-ce ainsi, aura-t-elle dit, qu’on défend une aussi grande cause ? Elle aura désiré que je parlasse comme elle sent. Mais, mon ami, cela ne se pouvait. Denis Diderot n’était peut-être pas né pour se monter à tant de hauteur. Et puis, pour s’entretenir dignement soi-même et les autres du sentiment de l’immortalité et du respect de la postérité, il faudrait y avoir le même droit qu’elle. C’est alors qu’on se battrait sur son propre palier. Si vous m’en croyez, vous ne supprimerez rien de ces feuillets-là. Vous risquez, en les châtiant, de leur ôter un air de négligence qui plaît toujours ; c’est la caractéristique des ouvrages faits sans peine, sans apprêt, sans prétention. Si on ne lit pas notre brochure comme nous l’avons écrite, nous sommes perdus.

C’est très-bien fait à vous d’avoir traité honnêtement de Voltaire. Il ne conviendrait point à mon Falconet d’empoisonner les derniers instants de la vie d’un vieillard respectable par les ou-