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de me déplaire. Je vous écouterai avec indulgence ; et je jure que votre franchise n’aura jamais aucune conséquence fâcheuse pour vous. » Voilà, mon ami, l’action qu’il faudrait consacrer par cent monuments. Je vous en ai déjà dit un mot. Mais laissons cela, il n’y a point de sujets ingrats pour les Falconet, et lorsqu’ils s’en sont une fois emparés, ils cessent d’être communs.

Je vois donc d’ici vos deux grandes figures ; et je les vois… aussi nobles et aussi pathétiques que vous me les montrez. Cependant voilà votre retour dans la chaumière de la rue d’Anjou reculé de huit ans. Faut-il donc que je dise avec un certain personnage de la Bible, mauvais roi mais assez bon père, qui venait de perdre son enfant : Il ne peut plus revenir à moi, il ne me reste plus que d’aller à lui. Nous ne nous reverrons plus ! Vous vous trompez, mon ami, nous nous reverrons. Je vous serrerai entre mes bras. Le désir d’une souveraine comme l’impératrice, les souhaits d’une bienfaitrice sont des ordres dont toute âme, sensible ou non, doit se tenir honorée. Il faut avoir vu une pareille femme une fois en sa vie et je la verrai. Sera-ce avant l’inauguration de votre premier monument ? c’est ce que j’ignore, mon ami. J’ai un cœur aussi ; mais tout contrarie ma volonté. Je suis en presse entre une infinité de devoirs que je ne saurais concilier. Vous m’appelez ; l’amitié, la reconnaissance me tirent d’un côté. D’autres sentiments me retiennent, et au milieu de ce conflit, je me sens déchiré. Ma fortune s’est arrangée. J’ai échappé aux inquiétudes du besoin, et mon bonheur s’est perdu. Je ne finirai point cette lettre sans vous expliquer tout cela. En attendant, rappelez-vous la situation de votre amie lorsqu’il fallut renoncer à tout ce qui vous entourait, ces accès de mélancolie où vous tombiez de temps en temps et que ma présence et mes conseils avaient tant de peine à dissiper, et vous n’aurez qu’une faible esquisse de ma situation. Ah ! mon ami, mon ami, vous parlez bien à votre aise, vous ne savez pas tout. Au milieu du désordre de ma tête et de la peine de mon âme, j’avais imaginé de tenter quelque grande chose qui répondît aux vues de Sa Majesté Impériale et qui donnât aux circonstances le temps de changer. Votre dernière lettre, celle de M. le général Betzky, écrite sous la dictée de Sa Majesté, ont renversé toutes les espérances dont je m’étais bercé. Il n’est que