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humaine achève de gâter ? Si cela est, négligeons l’étude du passé ; attendons paisiblement la fin d’un désordre de sa propre durée, et abandonnons-nous à la discrétion du temps à venir, qui termine tout, à la vérité, mais qui termine tout bien ou mal, et, selon toute apparence, plus souvent mal que bien, puisque les hommes, malgré leur paresse naturelle, ne s’en sont pas encore tenus à cette politique si facile et si commode qui rend superflus les hommes de génie et les grands ministres.

Il est certain que le public paraissait profiter de la concurrence, qu’un littérateur avait pour peu de chose un livre mal conditionné, et que l’imprimeur habile, après avoir lutté quelque temps contre la longueur des rentrées et le malaise qui en était la suite, se déterminait communément à abaisser le prix du sien. Il serait trop ridicule aussi de supposer que le magistrat préposé à cette branche de commerce ne connût pas cet avantage et qu’il l’eût négligé, s’il eût été aussi réel qu’il le paraît au premier coup d’œil ; mais ne vous trompez pas, monsieur, il reconnut bientôt qu’il n’était que momentané et qu’il tournait au détriment de la profession découragée et au préjudice des littérateurs et des lettres. L’imprimeur habile sans récompense, le contrefacteur injuste sans fortune, se trouvèrent également dans l’impossibilité de se porter a aucune grande entreprise, et il vint un moment où parmi un assez grand nombre de commerçants, on en aurait vainement cherché deux qui osassent se charger d’un in-folio. C’est la même chose à présent ; la communauté des libraires et imprimeurs de Paris est composée de trois cent soixante commerçants ; je mets en fait qu’on n’en trouverait pas dix plus entreprenants. J’en appelle aux bénédictins, aux érudits, aux théologiens, aux gens de lois, aux antiquaires, à tous ceux qui travaillent à de longs ouvrages et à de volumineuses collections, et si nous voyons aujourd’hui tant d’ineptes rédacteurs de grands livres à des petits, tant de feuillistes, tant d’abréviateurs, tant d’esprits médiocres occupés, tant d’habiles gens oisifs, c’est autant l’effet de l’indigence du libraire privé par les contrefaçons et une multitude d’autres abus de ses rentrées journalières, et réduit à l’impossibilité d’entreprendre un ouvrage important et d’une vente longue et difficile, que de la paresse et de l’esprit superficiel du siècle.

Ce n’est pas un commerçant qui vous parle, c’est un littéra-