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nagement, et la chaleur de la dispute laisse sans altération notre estime et notre amitié réciproques : avis aux artistes et aux littérateurs qui n’en profiteront pas. Mais que nous importe ? Adieu, mon ami, nous ne disputerons pas de longtemps. Vous vous en allez. Adieu, mon ami, portez-vous bien. Faites un heureux voyage : souvenez-vous, entretenez-vous quelquefois d’un homme qui prend l’intérêt le plus vif, le plus sincère à votre santé, à votre repos, à votre honneur, à vos succès ; dont l’âme est malade depuis qu’il est menacé de vous perdre, et qui voit le moment de se séparer de vous comme un des plus douloureux de sa vie. J’ai beau me dire : il va exécuter une grande chose ; il reviendra comblé de gloire ; je le reverrai ; je sens que mon cœur souffre. Adieu, adieu, Falconet ; adieu, mon ami.


X


Vous voilà donc, mon ami, à sept ou huit cents lieues de moi. J’ai compté tous les jours depuis votre départ. Je vous ai suivi de vingt lieues en vingt lieues, et si vous en avez moins fait, je suis arrivé à Pétersbourg avant vous… Comment vous êtes-vous porté ? N’avez-vous point été indisposé ? et ne vous est-il arrivé aucune aventure fâcheuse sur la route ? Tous les matins, en me levant, je tirais les rideaux et je disais : « Ils auront encore aujourd’hui du beau temps» ; et j’ai eu la satisfaction de le dire pendant plus d’un mois de suite. L’incertitude du sort de l’aimable prince l’a empêché de rien faire à la maison de la rue d’Anjou. Elle est encore comme vous l’avez laissée. Cela ne m’a pas empêché d’y retourner seul plusieurs fois, de m’asseoir ou sur le canapé de canne ou sous le petit berceau, et d’y penser à vous. J’ai reçu votre petit mot de Berlin, daté du 28 septembre. Je suis bien aise et peu surpris que ces Juifs ne soient pas aussi maussades qu’on nous les peint. Le général Betzky nous avait promis de vous envoyer prendre sur la frontière. L’a-t-il fait ? Les premiers procédés, quand ils sont bons, ne garantissent pas l’avenir ; mais il y a tout à craindre pour