Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/223

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tinctif ; je l’ai vu représenté dans l’attitude menaçante et haïssable d’un tyran. De la main gauche il saisit son épée déjà commencée à tirer du fourreau[1], et le bras droit, d’accord avec la tête, semble annoncer, par son action raide et forcée, les fureurs d’un duc d’Albe. Que m’importe ce qu’on a voulu dire ? La postérité ne reconnaîtra pas Louis XV sous la figure ou l’attitude d’un Néron.

« L’inscription dit que la ville de Valenciennes goûtait les douceurs de la paix lorsqu’elle consacra ce monument d’amour éternel. Cette inscription est un discours prononcé par un échevin le jour de son érection ; accordez-la, si vous pouvez, avec la statue. Si vous y parvenez, vous serez fort habile.

« Je ne dis rien de cette statue comme sculpture. Elle est d’un très-habile homme de notre Académie. Je blâme seulement les convenances mal observées dans la représentation d’un souverain. Chargé de monuments de cette sorte et de la plus grande importance, j’ai quelque droit d’examiner, et, ce me semble, de juger les autres. Si je le dis tout haut, c’est que l’ouvrage est public. Mais je le dis honnêtement, parce que j’honore la personne et les talents de l’auteur, et qu’il est aussi odieux d’insulter qu’il est utile de réprimer le trop de licence. C’est le droit de tous d’observer. C’est celui de quelques-uns de prononcer, et c’est le sort de tout ouvrage public d’être observé et jugé, à proportion de son importance. Lieu commun que vous me passerez, parce qu’il est placé.

« Si je vis assez pour voir une bonne critique de mes ouvrages, j’en remercierai l’auteur. S’il arrive qu’il ait mal vu, je l’éclairerai poliment. Je l’ai déjà fait à Paris à propos de mes ouvrages mal payés de Saint-Roch : cela réussit volontiers. À propos de noms écrits sur les personnages d’un tableau, de l’Hercule sculpté dans un temple chrétien, etc., vous savez qu’à Londres plusieurs peintres concourent à la perfection d’un portrait, l’un s’empare du visage, l’autre de l’habillement, ainsi du reste. Mais vous ne savez pas qu’à Smolenska, lorsqu’il s’agit d’une fournée d’importance, un savant, un homme de génie à qui l’on s’adresse, propose différents ingrédients. Ils appellent cela donner des idées. Ensuite le boulanger en chef s’enferme pour en composer la pâte ; il lui donne la forme, et la met dans un four de glace qu’il a choisi comme plus convenable à cette manière d’enfourner. C’est, dit-on, le seul moyen de faire le bon pain dans cette sorte de four ; surtout quand le boulanger en chef est aussi ingénieux que l’est celui qui préside à Smolenska. Ne blâmons pas cet usage, parce qu’il ne ressemble pas aux nôtres : contentons-nous de le rapporter avec discrétion. Chaque peuple a ses raisons : Polygnote avait bien les siennes que

  1. Voyez Monuments à la gloire de Louis XV, page 146.