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lettres qu’un peintre du pont Notre-Dame démontre évidemment qu’il y avait eu de grands maîtres avant lui. Allons donc interroger ce qu’on a tiré des peintures des ruines d’Herculanum, et attendons ce qu’on en tirera. Êtes-vous bien sûr qu’il n’y ait aucun morceau qui résolve votre objection ?

Sans en être sûr il y a, jusqu’à présent, quelque raison de le croire. Oui, sans doute, vous avez fait l’observation ; mais toute commune qu’elle est, vous ne l’avez pas faite où je vous attendais. Je voulais voir comment votre Apollon vous tirerait d’affaire, mais il vous a inspiré précisément comme monsieur le bailly conseillait madame la meunière.

Quoi qu’il en soit, les peintres anciens faisaient donc la peinture à l’instar de la sculpture et du bas-relief ? Vous me permettez donc de regarder leurs compositions comme le morceau de Laocoon projeté sur une toile, avec tout ce qu’il y a d’expression, et tout ce qu’on y peut supposer de couleur, quand on en a quatre sur sa palette ? Si cela est, dites-moi si l’art, avec toutes ses ressources modernes, a plus acquis qu’il n’a perdu ; et si vous refuseriez à une pareille projection le nom d’un grand et magnifique tableau. Le fait est que je n’ai jamais accordé d’autre mérite à Polygnote[1].

Je me suis trompé sur Cassandre ; ce que j’en ai dit n’a pas le sens commun ; il paraît qu’Ajax, poursuivi par les Grecs pour l’avoir violée dans le temple de Minerve, va par un faux serment ajouter le parjure au sacrilège, et que c’est là le sujet du groupe de Polygnote.

  1. « Chanson, mon ami ; vous enveloppez tous les peintres anciens avec Polygnote ; c’est brouiller les fuseaux. Le reste a été suffisamment débattu et j’y ai fait mon devoir. Voici pourtant un calcul que j’avais oublié. Le tableau de Polygnote était fait vingt ans avant que Zeuxis inventât le mélange des lumières et des ombres. Si ce calcul ne vous convient pas, prenez-vous-en cette fois à Quintilien. Je ne sais s’il a dit une sottise, ou si c’est son traducteur ; en tout cas, voilà son latin :

    Zeuxis atque Parrhasius plurimum arti addiderunt quorum prior luminum umbrarumque invertisse rationem* : « Que voulez-vous que je fasse ? Ce sont vos amis qui donnent des coups de pied dans le tableau de Polygnote. »

    * Quintil., Inst. orat., lib. XII. cap. x, § 4.