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de la peinture, et même sur la question du coloris ? Je n’imaginerai point, je ne tourmenterai point, je ne lutterai point avec Quintilien que j’admire ; mais je vous dirai qu’il y a bien longtemps que je ne suis plus un enfant, et que si je m’en mêlais je saurais très-bien louer Agasias ou tel autre grand statuaire ancien que vous admirez, sans humilier ni blesser un artiste moderne[1].

Eh bien ! à votre avis Polygnote pouvait donc produire la sensation violente d’un grand morceau de sculpture, d’un beau dessin, d’une belle estampe, d’un camaïeu bien étendu, mais il n’avait point de couleur, mais point du tout ? Mais songez donc que Quintilien vous dément, quorum simplex color tam sui studiosos adhuc habet[2], dit-il, la simplicité de son coloris captive les prétendus connaisseurs, et cela dans un temps où la peinture était parfaite, en Italie, à cinq cents ans de son origine en Grèce. Je ne m’échauffe pas, comme vous voyez. Je vais tout doucement m’enquêtant, proposant mes doutes, me renfermant dans la question et m’ assujettissant à la bonne logique[3].

Il se peut qu’un roi eût eu plus d’or que de goût ; mais de Bularque, dont ce roi paya le tableau au poids de l’or, il y a plus de cinq cents ans jusqu’à Polygnote ; et longtemps avant Bularque, la nation avait des poëtes sublimes. Pardonnez-moi ; j’avais déjà fait l’observation judicieuse et commune sur l’harmonie d’imitation dont il passe nécessairement des vestiges d’un grand artiste à un mauvais. Vous lirez quelque part dans mes

  1. « Je ne vous ai pas dit que Quintilien avait vu le tableau de Polygnote. Mais comme il avait voyagé en Grèce et que le tableau de Polygnote existait de son temps, j’ai dit seulement qu’il avait pu le voir, et que d’ailleurs il rapportait l’opinion universelle. Vous voyez que je n’ai pas besoin de relire le passage. Je me suis mal exprimé, sans doute, puisque vous ne m’avez pas entendu ici. Je ne vous crois ni l’injustice, ni la maladresse de louer un habile homme aux dépens d’un autre. Je ne vous crois pas écolier de rhétorique. J’ai seulement dit que les six ou sept lignes de Quintilien sur Polygnote tiendraient contre toute la rhétorique possible. »
  2. Quintil., Inst. orat., lib. XII, cap. x, § 3.
  3. « Mon avis a été, et sera qu’un tableau sans coloris, pour qu’il puisse produire la sensation la plus violente, doit avoir, à la couleur près, toutes les qualités qui produisent cette sensation, dans un camaïeu, dans la sculpture, la gravure et le dessin. Si le tableau de Polygnote avait ces qualités, j’ai tort ; bonne ou mauvaise, voilà ma logique. »