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finesse dans la manière de fixer le lieu, le sujet et l’instant de la scène ; de la convenance dans l’invention des incidents, de la

    premier de ces deux points, l’orateur prouve qu’il faut travailler pour la postérité et l’avoir en vue ; parce que notre être étant continué et perfectionné, nous verrons très-bien d’en haut ce qui se passera sur la terre, et qu’ainsi nous jouirons des éloges de la postérité. Du second point, il conclut que, toute la gloire étant anéantie pour nous après notre mort, il faut faire le bien pendant nos jours, sans y être excité par aucun motif de gloire, et qu’elle résultera nécessairement de nos vertus, sans que nous y ayons même pensé. Par cette seconde supposition, Cicéron nous ramène au système du christianisme qui enseigne que toute gloire humaine sera anéantie, absorbée dans la gloire divine.

    « À quatre mots d’ici, je vous ferai voir encore ce Cicéron que vous jetez à la tête des gens.

    « En attendant, je vous donne ce petit conseil : ne prenez jamais une épée par la pointe.

    « La première Tusculane est simple, son plan est à la portée d’un enfant aussi l’ai-je entendue sans maître ; mais ce qui serait un peu moins aisé à concevoir, c’est que moi, sculpteur pour tout métier, j’eusse mieux entendu Cicéron que le sacristain de cette église : n’est-il pas vrai que cela serait original ? Mais je n’ai pas cette vanité : le sacristain a voulu seulement étourdir le profane.

    « Voyons à présent des autorités. J’en ai quelques-unes aussi à vous présenter qui valent bien les vôtres.

    « Pythagore enseignait qu’il faut faire le bien pour l’amour du bien même, et non pas à cause de l’estime qui en pourrait revenir ; de sorte que, quand bien même une bonne action devrait nous procurer du déshonneur, il faudrait toujours la faire.

    « Platon met dans le même rang l’amour de la gloire et lividité d’acquérir de l’argent.

    « Les stoïciens disaient que l’amour de la gloire est une maladie de l’âme contre laquelle le sage doit se précautionner.

    « Sénèque, tout orgueilleux qu’il est, ne veut point qu’on cherche à se faire remarquer ; il ne reconnaît point pour vertueux celui qui veut qu’on publie ses vertus : Ce n’est, dit-il, qu’un glorieux. Il dit que l’estime et le mépris du peuple doivent être indifférents au sage.

    « Marc-Antonin, qui en valait bien un autre, jette un regard sublime sur la gloire, sur la durée, sur ceux qui louent, et sur leurs motifs. Ô mon ami, comme tout cela est petit aux yeux de ce grand homme !

    « Cicéron lui-même, cette âme ivre de gloire, avoue que c’est une faiblesse. Son chapitre xx du premier livre des Offices est un coup de foudre sur lui, sur vous, sur moi, et sur tous les amants de la gloire quelle qu’elle soit ; il n’y a pas d’accommodement à faire avec lui ; c’est un janséniste outré. Comment ! il veut que la vertu seule fasse agir les âmes parfaites ! nous sommes ses serviteurs, qu’il cherche ailleurs ses âmes parfaites.

    « Il dit aussi : Le bien qu’on fait est lui-même sa récompense.