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IX.


Septembre 1766.


Je parle d’après une description, et non d’après un tableau. Je vois, d’après cette description, un beau choix de sites, de la

    ou, plein de vos idées, les avez-vous vues dans les siennes par la seule force de votre imagination ?

    « J’ai lu la première Tusculane, et j’y ai vu vos lacunes remplies par des idées qui dérangent un peu les vôtres. J’ai vu Cicéron, platonicien alors, chercher des preuves de l’immortalité de l’âme, et donner, par exemple, celle-ci : Les pompes et les monuments funèbres ne sont élevés aux morts que parce que nous les croyons privés des douceurs de la vie. Croyons que leur âme est immortelle, et qu’elles voient ce qui se passe sur la terre, il n’y aura plus de deuil.

    « J’ai encore trouvé que Phidias grava son portrait sur le bouclier de sa Minerve, par le sentiment naturel et implicite qu’il avait de l’immortalité de son âme. Phidias n’en savait pas davantage. Mais Cicéron nous apprend que l’âme du sculpteur, dégagée des liens du corps et placée dans la région la plus pure de l’air, voit et entend infiniment mieux qu’avec des yeux, des oreilles, tous ceux qui disent: Phidias a fait cette belle Minerve.

    « Quand on meurt pour la patrie, qu’on plante une loi, un arbre, un enfant ; qu’on fait un poëme, qu’on écrit son nom sur la statue qu’on a faite, c’est une preuve de l’immortalité de l’âme. Et c’est là de la philosophie ? Comment la trouvez-vous ? Au reste, c’est dans les esprits les plus sublimes, c’est dans les âmes les plus élevées que ce pressentiment intérieur des siècles futurs et de l’immortalité est le plus vif, et qu’il éclate davantage. (Les âmes faibles ne savaient donc pas encore trop qu’elles étaient immortelles.) C’est ainsi, prenez-y bien garde, que ceux qui ont le plus d’esprit et de vertu se donnent le plus de mouvement pour mériter l’estime de la postérité ; c’est parce que d’un coup d’œil ils découvriront la terre, et que leur âme, quand elle sera arrivée où naturellement elle tend, sera bien plus en état de juger et de voir les choses absolument comme elles sont. Vous voyez, mon ami, qu’il n’y a point là d’anticipation : tout se passera en présence des intéressés. Voilà Cicéron que je n’ai pas lu par phrases, mais par analogie.

    « L’objet de la première Tusculane est de guérir les hommes de la frayeur de la mort et des terreurs d’une autre vie. Si l’âme est immortelle, le jour de sa séparation avec le corps est le jour de sa naissance ; alors elle va se réunir aux astres et à la Divinité : c’est donc un bien de mourir. Si au contraire l’âme meurt avec le corps, elle est débarrassée des maux de la vie ; c’est donc un bien de mourir. Du