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se nomme. Un seul répondit : C’est moi ; et personne n’osa lever les yeux sur lui[1].

27° On vous applaudit à présent ; mais dans cent ans vous serez maudit… Que m’importe ?… Voilà la réponse du contempteur de la postérité. Qui est-ce qui peut l’entendre ?

28° L’orateur, le poëte, le philosophe, l’historien, le peintre, le statuaire, espèces de poëtes et d’historiens, proposent tous l’immortalité aux hommes. Et que m’importe votre immortalité ? dira le contempteur de ce sentiment, à l’orateur, au poëte, au philosophe, à l’historien, au peintre, au statuaire. Que me font ton éloge, ta statue, ton poëme ? Votre opinion resserre, anéantit le but des beaux-arts ; elle arrête la reconnaissance du contemporain par le mépris que vous en faites.

29° Mon opinion ne contredit point le sentiment de Caton, qui aime mieux qu’on dise de lui qu’il a mérité le triomphe que de l’avoir obtenu.

30° Qu’on fasse mon buste en argile. Mais pour le bienfaiteur de la patrie, le marbre n’est pas assez dur ; le bronze pas assez durable. Je demande à la nature des qualités incompatibles, la mollesse qui rende la matière docile à ton ciseau ; l’indestructibilité qui lui fasse braver le temps. Je veux que ma nation soit à jamais honorée et dans le talent de mon statuaire et dans la mémoire de nos héros ; je veux qu’on sache à jamais que nous avons eu des grands hommes et des artistes dignes d’eux[2].

31° Comment se fait-il, ô Falconet, que ce soit vous qui fassiez de beaux ouvrages, et que ce soit moi qui fasse des vœux pour leur durée ? celui qui a droit à l’immortalité est celui qui la méprise !

  1. « Je le crois bien : son âme forte et désintéressée les fit rougir tous. Avec de la pudeur et des torts, on ne regarde pas volontiers ceux qui nous humilient. »
  2. « Jusqu’ici vos idées disent très-bien que l’homme qui ne fait rien pour les autres est un lâche. Ajoutons qu’il travaille, autant qu’il est en lui, à détruire la philosophie, les mœurs, les sciences, les arts, la société, tout en un mot. Mais comme il ne s’agit pas entre nous de cet homme lâche, quelques invectives échappées par endroits dans vos observations ne me regardent pas plus que quelques compliments exagérés que je dois à votre amitié. Ce que vous dites, d’ailleurs, rentre dans vos autres lettres. J’y ai répondu. »