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me paraît pas assez juste. Il a dit[1] que tout le coloris de Paul Véronèse n’effacerait point la Famille de Darius, de Le Brun ; il me semble qu’il compare l’attrait de la couleur à l’intérêt de l’expression, et en ce sens il a bien jugé[2].

Eh bien, Voltaire n’a pas entendu la voix de son siècle, j’y consens. Mais cette voix en subsiste-t-elle moins ? en est-elle moins juste ? mille autres ne se sont-ils pas élevés, ne s’élèvent-ils pas, ne s’élèveront-ils pas, qui en seront des garants plus fidèles ? en obtiendrez-vous moins du présent et de l’avenir la justice qui vous est due ? et voilà ce dont il s’agit entre nous[3].

Je ne reviendrai pas sur la manière jaune de Jouvenet ; ce fait avait amené une question de métaphysique plus générale et plus importante sur laquelle vous vous êtes bien trompé ! On vous l’a fait entrevoir : quel parti avez-vous pris ? celui de mépriser la question, et de lâcher en vous retirant un petit mot d’injure aux philosophes qui s’en sont occupés. Il me semble qu’il y avait mieux à faire[4].

Tout ce que vous ajoutez ici sur la manière jaune de Jouvenet, ictérique ou non, prouve que vous n’êtes pas plus avancé que le premier jour, en physique, en métaphysique, en optique.

  1. Siècle de Louis XIV. art. Le brun.
  2. « J’ai tort s’il a bien jugé : j’en demande pardon à vous à Voltaire et à la logique. Bien entendu que c’est si j’ai tort. Voyez mieux ce que je vous en ai dit. »
  3. « Oui, je conçois que vous avez raison… Mais pourtant, si en physique, en morale, etc., le premier littérateur de son siècle n’en entendait pas la voix, n’y aurait-il aucun inconvénient parce que mille autres s’élèveraient qui en seraient des garants plus fidèles ? Non, non, vous avez tort ; je le vois bien à présent ; car si les plus habiles gens se trompaient ainsi sur différents objets, l’un sur une partie, l’autre sur une autre, comment les siècles à venir connaîtraient-ils l’histoire du nôtre ? Voyez l’obscurité que Pline et Pausanias répandent sur l’art des anciens en nous le transmettant. Voyez qu’à plus de mille ans ils font battre deux bons amis qui cherchent la voix du siècle à travers la fumée de deux flambeaux mal allumés. Ils ont eu quelques contradicteurs contemporains. Eh bien, ces contemporains ont jeté plus d’obscurité encore par l’embarras où nous sommes de choisir entre le contradicteur et le contredit. Tenez, mon ami, la vraie lumière en cela comme en tout, ce sont les ouvrages qui nous restent : ils sont sous nos yeux. Mettez-vous entre l’Iphigénie de C. Vanloo et la critique et l’éloge qu’on en a faits ; vous verrez lequel des trois vous fera mieux connaître le tableau. »
  4. « Vous ne reviendrez pas sur la manière jaune de Jouvenet ; je vous approuve fort et vous en fais compliment de tout mon cœur. »