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Je vous supplie, mon ami, de ne pas toucher à la latinité de Pline, cela est sacré et c’est un peu mon affaire, car je suis sacristain de cette église ; les expressions que vous reprenez ne décèlent point le déclin du siècle d’Auguste. Si quelque pédant vous l’a dit, n’en croyez rien.

Les Romains n’ont rien inventé : lorsque, sortis de la barbarie, ils ont voulu parler arts et sciences, ils ont trouvé leur langue stérile, et pour désigner des choses qui leur étaient étrangères, les bons esprits se sont rendus créateurs des mots. Cicéron même vous offenserait en cent endroits, sans sa pusillanimité qui lui faisait préférer le mot grec à un mot nouveau, et cela en physique, en morale, en métaphysique. Vous vous êtes dit là-dessus une injure que mon amitié et un peu de politesse sur laquelle vous deviez compter vous auraient certainement épargnée. Vous me trouverez plus indulgent sur une erreur littéraire que vous ne le serez avec moi sur une erreur d’art. Mais c’est une affaire de caractère, ou peut-être m’aimez-vous plus que je ne vous aime, si le proverbe est vrai ; je vous aime pourtant bien, ce me semble[1].

Si Pline avait donné à tous les morceaux de peinture et de sculpture dont il a jugé une description et un éloge proportionnées à leur importance, il eût composé un traité exprès de peinture et de la sculpture plus ample que l’histoire entière de l’univers, qu’il avait pour objet ; vous ne considérez pas que Pline n’est qu’historien, et que la plupart des morceaux dont il nous entretient subsistaient, soit à Rome, sous les yeux de ses contemporains, soit en Grèce, où il n’y avait fils de bonne mère qui ne voyageât[2].

  1. « Si vous êtes indulgent sur une erreur littéraire, c’est que je n’ai aucune prétention à ce talent ; je veux bien ne pas m’y connaître, surtout à la latinité. Mais de vous, cher seigneur, il n’en est pas ainsi pour la peinture et la sculpture. Quant à l’amitié, disputez-en si c’est votre caractère ; mais je vous préviens que je céderai encore moins de mon côté que de celui de la postérité. Eh ! Diderot le sait bien. »
  2. « Je crois que vous vous trompez ici deux fois. 1° Sans faire un traité de peinture, Pline pouvait parler juste, au moins il le devait : je vous l’ai dit plus haut. 2° La plupart des ouvrages dont il parle étaient détruits de son temps. Ne l’étaient-ils pas ? raison de plus pour en mieux juger, s’il eût pu le faire. »