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cet Hercule fût courbé sur le bûcher, que le peintre l’eût montré renversé en arrière, les bras tendus vers le ciel, et le visage et toute la figure vus de raccourci, croyez-vous que l’exécution eût été l’ouvrage d’un enfant ? Vous faites vos suppositions, je fais aussi les miennes[1].

Pline dit qu’Amulius fit une Minerve qui regardait de quelque côté qu’on la vît ; Claudius Pulcher, un toit qui trompait les corbeaux ; Apelles, un cheval devant lequel les chevaux, oubliant la présence de leurs semblables, hennissaient, etc. Il me semble que Pline n’est là qu’historien ; et si le tour de Pline m’est familier, et que j’entende un peu la valeur de la phrase latine, ces mots : Idque postea semper illius experimentum artis ostentatur[2], indiquent l’opinion populaire et même le peu de cas qu’il en fait ; du moins si c’eût été mon dessein de rendre ces deux vues, je ne me serais pas expliqué autrement[3].

Pinxit et quæ pingi non possunt[4] dit de l’éclair, de la

  1. « Bravo; je vois bien qu’il en faudra venir à l’indulgence. »
  2. Lib. XXXV, cap. x.
  3. « Plus haut vous le donniez en cent au meilleur esprit, et moi je lui donne en mille pour trouver le rapport de cet idque postea avec la Minerve d’Amulius, dont Pline ne parle que deux grandes pages in-folio après, et avec les corbeaux de Pulcher, qui sont sept pages avant. J’entends trop peu le latin pour en disputer avec vous ; mais, cher Diderot, vous ne persuaderez à personne que l’idque postea semper ait le sens que vous lui donnez. Oui, mon ami, dans la Grèce, aux beaux jours de la peinture, on pensait que les bêtes s’y connaissaient, pour le moins, autant que les hommes. Et ce n’était pas seulement l’opinion populaire ; il se trouvait des gens d’esprit qui ne s’en moquaient pas, et Pline était du nombre. Et cet autre* qui dit très-sérieusement : « Il ne faut pas s’étonner que les bêtes soient trompées par un art qui représente si parfaitement la nature », s’en moquait-il ? trouvait-il rien là de populaire ? Trop faible pour disputer, je m’en tiens à prouver : c’est un pis aller que je vous prie de me passer. Croyez, au reste, que les bêtes ne sont pas difficiles à tromper ; la plus grossière image, une découpure barbouillée à peu près leur fait prendre le change. Que dites-vous de ces hommes de paille mis dans un champ pour faire peur aux oiseaux, et de ces pigeons de plâtre mis sur un colombier pour en faire venir d’autres ? Et puis glorifiez-vous, peintres, sculpteurs, imitateurs du naturel, parce que quelques bêtes auront éprouvé votre ouvrage. »
    * Val. Max., lib. VIII, cap. xi.
  4. Plin., lib. XXV, cap. x.