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fermé dans son coin, et j’ai persisté dans mon jugement ; libre à mon ami de revenir, s’il lui plaît, à une seconde cérémonie expiatoire.

Mais ce Voltaire, cet ennemi juré de tous les piédestaux, tant anciens que modernes, a pourtant dit, je ne sais où, qu’il y avait plus à profiter dans deux beaux vers d’Homère que dans toutes les critiques qu’on a faites de ses poëmes.

Lisez-le, cet Homère, et essayez vous-même si vous serez libre de le critiquer. Mais puisqu’une page de plus ou de moins n’est pas une affaire quand on cause avec son ami, je vous dirai qu’un jour le fils de Chardin, et quelques élèves en peinture, considéraient ensemble un tableau de Rubens. L’un disait : « Mais voyez donc comme ce bras est contourné ; un autre : Appelez-vous cela des doigts ? Celui-ci : Et d’où vient cette jambe ? Celui-là : Comme ce col est emmanché ! Mais toi, Chardin, tu ne dis rien ? — Pardonnez-moi ; je dis qu’il faut être f… bête pour s’amuser à relever des guenilles dans un chef-d’œuvre où il y a des endroits incompréhensibles, à dégoûter à jamais de la palette et du pinceau. » — Voilà le spectateur qu’il faut à Rubens, et le véritable lecteur d’Homère[1].

Vous me citez des caillettes ; je vous objecte Hélène. Je ne sais ce que vous me répondez ; mais je suis sûr que s’il existait au loin un buste fidèle et de grandes mains de cette funeste beauté, vous l’iriez voir, et que j’irais avec vous ; et puis, si Hélène veut passer à la postérité comme furie, elle a tort ; si c’est comme héroïne d’un grand poëme, et mieux encore comme femme d’une incomparable beauté, elle a raison, parce que la beauté est un don rare de la nature[2].

Si un tronçon de figure suffit pour vous donner une juste

  1. « Ce que vous dites en faveur d’Homère et contre ses critiques ne me regarde point, puisque je vous ai bien dûment déclaré que, malgré ses défauts, je m’en tiens à l’admirer autant que je puis l’entendre. Le fils de notre Chardin a fort bien vu Rubens. Mais ce qui n’est pas aussi bien vu, peut-être, c’est de croire son jugement assez rare pour le citer. Eh bien, Bayle a donc bavardé, et Pline n’aurait pu radoter ! »
  2. « Il y a un moyen facile de savoir ce que je réponds touchant Hélène : c’est de le lire où j’irais avec vous voir son buste s’il était bien. J’en ferais autant pour celui de Cartouche. Que cela a-t-il de commun avec leur personne que je déteste ? »